Les patrons sont en colère… Et le font savoir bruyamment. Mardi, cela commence comme un coup de tonnerre : alors que Bayrou a mis le feu à sa gauche avec un mot, « le sentiment de submersion » migratoire et que l’on commence à craindre pour le vote du budget, c’est Bernard Arnault, le patron de LVMH, qui sonne la charge. Commentant les résultats du groupe de luxe, l’homme le plus riche de France et parfois du monde (en alternance avec Elon Musk) dénonce la surtaxe temporaire d’impôt sur les sociétés qu’il compare à la baisse du taux d’IS à 15% décidée par Trump aux Etats-Unis (dont il revient tout juste après avoir participé à l’investiture). « Une taxe du Made in France », « pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! », tonne le patron du premier groupe de luxe mondial, qui se targue d’employer 200.000 personnes « directement et indirectement » dans l’Hexagone…
« Il a raison », renchérit Patrick Martin le surlendemain. Le patron du Medef pique une grosse colère contre le budget d’Eric Lombard, le ministre de l’Economie, que l’on surnomme au sein du patronat « Eric Le Rouge » car il est proche d’Olivier Faure, le patron du PS et s’est prononcé dans un livre pour la diminution du rendement du capital afin de financer la transition écologique… Ce qui ferait plutôt de lui Eric le Vert d’ailleurs. Eric Lombard se dit surpris de la soudaine « fronde des patrons » qui fait la Une de tous les journaux. Car après tout, le président du Medef n’a-t-il pas lui même accepté au début de l’automne le principe d’une surtaxe d’IS au nom de la solidarité lorsque Michel Barnier (un Premier ministre issu des rangs de LR, de droite donc) l’avait proposée, au risque de fâcher quelques unes de ses puissantes fédérations. Le président de l’UIMM, Eric Trappier, avait critiqué cette position, sur l’air de « inutile de donner des verges pour se faire battre »…
Que s’est-il donc passé en six mois pour que le ras-le-bol fiscal l’emporte chez les patrons ? D’abord l’effet Trump sans doute, qui libère la parole et affole les décideurs. La politique brutale de dérégulation et la promesse d’eldorado américain bouscule les plus patriotes. Le manque de visibilité sur l’avenir de la France, avec un budget qui traîne en longueur, alimente l’incertitude et l’angoisse, alors que l’élection présidentielle de 2027 fait peur et pousse certains PDG à assurer leurs arrières à l’étranger, en Italie notamment. Le marché immobilier de luxe est en surchauffe à Milan…
Les grands patrons ne sont pas les seuls à être ulcérés. Notre sondage montre que la colère gronde dans les TPE et PME partout sur le territoire. La confiance s’est érodée entre le patronat et le gouvernement parce que le deal de départ était d’échanger une hausse d’impôt temporaire (pour deux ans, ramenée à un an) contre des baisses de dépenses pérennes. Mais, au vu de la tournure prise par le conclave sur les retraites avec la borne des 64 ans menacée d’être prise d’assaut par les syndicats, le patronat pique sa crise de nerf, craignant d’être dupé par le très habile François Bayrou. Comment croire que les hausses d’impôts seront temporaires alors qu’aucune économie structurelle n’est prévue dans le projet de budget. La CMP qui a abouti ce vendredi à un compromis laisse espérer que la France aura un budget pour 2025. Mais le vrai rendez-vous désormais, c’est celui de 2026 avec une marche d’escalier encore plus haute à franchir si la croissance ne repart pas.
L’exaspération de Bernard Arnault et des patrons français vient de là. La France ne prend pas le chemin du sérieux budgétaire et ils ont le sentiment que la suite de l’histoire risque bien d’être une submersion fiscale pour tenir les engagements de réduction de la dette. Tous les signaux vont dans ce sens. Un exemple : cédant au lobbying des artisans, le gouvernement s’apprête à mettre à bas le régime fiscal des micro-entrepreneurs en plafonnant à 25.000 euros l’exonération de TVA dont ils bénéficient depuis la loi Novelli.
Bonjour la simplification : Bercy espère encaisser 400 millions d’euros par an grâce à une mesure qui va « emmerder » des centaines de milliers d’auto-entreprises qui vont devoir déclarer la TVA et l’intégrer dans leurs factures. Exactement le contraire de l’esprit d’une réforme qui avait apporté enfin un peu de liberté dans l’enfer de l’entrepreneuriat. Champion du monde. De quoi donner raison à Bernard Arnault qui a pris soin dans un tweet de préciser que son intention n’était en aucun cas de « délocaliser le groupe LVMH ». Il a précisé sa pensée : « ce que j’ai dit, c’est que les mesures envisagées sont une incitation à la délocalisation, puisqu’elles taxent le made in France mais pas les entreprises françaises délocalisées ».
En fait, il semble préconiser que la France/l’Europe applique la recette de Donald Trump qui a dit : « bienvenue à ceux qui se localisent en Amérique, ils paieront peu d’impôts ; les autres seront taxés avec de lourds tarifs douaniers ». Menace protectionniste mise en application ce vendredi pour le Canada, le Mexique et la Chine, en attendant l’Europe. La guerre commerciale a commencé, et la révolte des patrons, en France, mais aussi en Allemagne, traduit une inquiétude réelle et légitime sur l’avenir de la compétitivité du made in Europe dans le nouvel ordre mondial décrété par Donald Trump.
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