
La Conférence internationale sur la Syrie qui se tient jeudi à Paris ne servira pas encore à récolter de l’argent, mais plutôt à définir, avec les nouvelles autorités de Damas, un cadre qui permette la bonne délivrance de l’aide internationale.
Cette conférence fait suite à la rencontre organisée quelques jours après la chute du régime de Bachar al-Assad dans la ville d’Aqaba, en Jordanie, le 14 décembre dernier, et à celle tenue mi-janvier en Arabie Saoudite.
Elle réunira des représentants de la Ligue arabe, du Conseil de coopération du Golfe, de l’Union européenne (UE), de la Turquie, des États-Unis et des Nations Unies, ainsi que le ministre des Affaires étrangères des autorités transitoires syriennes, Assaad al-Chaibani.
Selon les autorités françaises, l’objectif de la rencontre est avant tout « de pouvoir élaborer avec les Syriens une stratégie qui permette de coordonner l’aide internationale », ainsi que « les modalités de délivrance de cette aide sur le terrain ».
Une mission particulièrement complexe, puisque le territoire de la Syrie est toujours très fragmenté et les restes de l’administration du régime de Bashar al-Assad ont été balayés par les nouveaux maîtres du Damas, les islamistes du Hayat Tahrir al-Cham (HTC).
« Depuis quelques semaines, on estime qu’entre un million et un million et demi de fonctionnaires ont été licenciés, pas forcement des soutiens de l’ancien dictateur, mais des gens qui faisaient tourner l’État », note le chercheur Akram Kachee, lui-même réfugié en France après avoir fui la Syrie en 2011.
« Deux scénarios sont actuellement en train de se combiner. Un scénario à l’Irakienne, quand les Américains avaient en 2003 renvoyé tous les fonctionnaires de Saddam Hussein. Et un scénario à la libyenne, où des portions du pays échappent au contrôle du pouvoir central. »
Les exigences occidentales
Lors d’une réunion du Conseil Affaires étrangères à Bruxelles, le 27 janvier, les dirigeants européens avaient annoncé une levée « progressive » des sanctions contre la Syrie pour les secteurs de la banque, de l’énergie et des transports, afin d’accélérer la reconstruction du pays.
Cet assouplissement est cependant conditionné à la protection des minorités et des droits des femmes. En visite en Syrie début janvier, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot avait rappelé être « attaché à une Syrie plurielle, dans laquelle les droits de chacun sont préservés, dans le cadre d’une citoyenneté commune ».
« Les Occidentaux ne devraient pas insister sur les minorités mais demander des garanties pour l’ensemble des citoyens syriens », continue Akram Kachee. « Pour l’heure, le nouveau régime ne respecte pas les droits de l’homme, des gens sont exécutés arbitrairement. La grande question des prochains mois sera donc celle de la justice transitionnelle. »
Avant la conférence de Paris, le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, a annoncé que le 1er mars le pays allait se doter d’un gouvernement reflétant le peuple syrien dans sa « diversité », dans le but de succéder aux actuelles autorités intérimaires.
Reste qu’Ahmed al-Sharaa, le nouveau maître de Damas devenu président par intérim le 29 janvier et précédemment connu sous son nom de guerre d’Abou Mohammad al-Jolani, affirme régulièrement que l’organisation d’élections pourrait prendre jusqu’à cinq ans.
Ahmed al-Sharaa « mobilise simultanément plusieurs expériences », soulignait mercredi lors d’une audition devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale la chercheuse Manon-Nour Tannous, spécialisée sur la diplomatie occidentale au Moyen-Orient. « Il a porté ces dernières années un discours révolutionnaire, il a le discours islamiste et il a ajouté le référent du libérateur. »
De quoi continuer à pousser pour la reconnaissance croissante des nouvelles autorités de Damas sur la scène internationale. Ahmed al-Sharaa s’est ces dernières semaines rendu en Arabie Saoudite et en Turquie, et il s’est entretenu par téléphone avec le président Emmanuel Macron le 5 février. Il devrait aussi se déplacer en France « dans les prochaines semaines » assure l’Élysée.
La Turquie pousse ses pions
En attendant le chiffrage des montants que les pays européens sont prêts à accorder à la Syrie, qui devrait intervenir lors d’une réunion en mars à Bruxelles, la Syrie aiguise les appétits de nombreux acteurs, alors que la chute de Bachar al-Assad a entraîné une redéfinition rapide des équilibres géopolitiques au Proche-Orient.
Si les Iraniens ont quitté la Syrie lors de la poussée initiale des islamistes du HTC, les nouvelles autorités de Damas semblent entretenir de très bonnes relations avec Ankara, qui depuis 2026 soutenait sur le terrain les milices de l’Armée nationale syrienne (ANS).
Le directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Didier Billion souligne ainsi la « fluidité des relations » entre Ahmed al-Sharaa et le président Recep Tayyip Erdoğan, impatient de régler la question kurde mais aussi de voir les trois millions de réfugiés syriens présents sur le sol truc rentrer chez eux.
Selon Reuters, un accord serait ainsi en discussion entre Ankara et Damas sur l’installation de bases aériennes turques en Syrie, et sur l’implication des forces turques dans la formation de la nouvelle armée syrienne.
Le ministre turc des Affaires étrangères a de son côté annoncé fin janvier l’ouverture d’une « nouvelle ère » dans les relations commerciales avec la Syrie et le début de négociations pour la signature d’un traité de libre-échange entre les deux pays.
Selon la présidence française, la nouvelle administration américaine est de son côté « toujours en cours d’examen de sa position sur la Syrie » et cette position « ne devrait pas être clarifiée » lors de la conférence de Paris.
(AM)