Samedi, le président américain a signé un décret imposant 25% de droits de douane sur l’ensemble des produits provenant du Mexique et du Canada, à l’exception des hydrocarbures canadiens, taxés eux à 10%. Il a aussi imposé 10% de droits de douane, qui viennent s’ajouter à ceux déjà existants, sur tous les produits chinois. Donald Trump accuse les trois pays de ne pas faire suffisamment d’efforts pour réduire le trafic de fentanyl, un puissant opioïde qui est à l’origine d’une grave crise sanitaire aux États-Unis.
Mais les droits de douane sur les produits canadiens et mexicains risquent d’avoir un profond impact sur les deux voisins des États-Unis, aux économies profondément intégrées avec celle de la première puissance économique. De part et d’autre, les entreprises ont pour l’instant fait le choix de l’attente. Il s’agissait pour elles de déterminer d’abord si leur secteur serait concerné ou non et si les droits qui leur seront appliqués montent bien à 25%, ou pas, mais aussi de déterminer quelles seront les conséquences.
Quel impact sur l’économie canadienne?
Selon les données de Statistics Canada, l’office national des statistiques, les exportations vers les États-Unis représentaient, en 2023, 77% des biens canadiens vendus à l’étranger, pour un total de 410 milliards de dollars. Sur les onze premiers mois de 2024, le déficit commercial américain avec le Canada s’élève à près de 55 milliards de dollars selon le département américain du Commerce. Il s’agit en premier lieu d’hydrocarbures (pétrole, sables bitumineux et gaz naturel) ainsi que des pièces et véhicules automobiles, les deux secteurs pesant 42% des exportations vers les États-Unis, suivis par les produits de consommation courante et l’agroalimentaire.
Selon Gregory Daco, chef économiste pour EY, la décision américaine pourrait entraîner une perte de PIB, par rapport au scénario initial, de 2,7% en 2025 et 4,3% en 2026, avec une inflation supérieure de 4,5 points de pourcentage par rapport aux premières estimations.
L’industrie pétrochimique a espéré un moment être épargné, du fait de son importance pour une partie des États-Unis, alors que le pétrole canadien représente plus de 60% des importations américaines en la matière. Elle est finalement également concernée, même si c’est à un degré moindre (10% et non 25% comme pour les autres produits). Les constructeurs automobiles estimaient eux, avant même la confirmation de ces nouvelles taxes, être « disproportionnellement punis ». Un petit nombre d’entre eux a ouvertement envisagé la possibilité de délocaliser leur production aux États-Unis.
Le gouvernement canadien a assuré qu’il prévoyait des représailles en ajoutant qu’il était prêt à mettre en place le même type d’aides que celles existantes durant la pandémie pour les secteurs concernés.
Et côté mexicain ?
Le Mexique est encore plus dépendant à son voisin du nord : 84% de ses exportations ont rejoint les États-Unis en 2024, ce qui représente 518,7 milliards de dollars, selon les données de l’Institut national de la Statistique (INEGI). D’après le département américain du Commerce, le déficit américain vis-à-vis du Mexique s’élève à 157 milliards de dollars sur les onze premiers mois de l’année.
L’industrie automobile est le principal secteur concerné, mais l’électronique et la machinerie sont également particulièrement touchés, les trois secteurs envoyant 50% de leur production vers les États-Unis. Ces derniers sont par ailleurs très dépendants de l’agriculture mexicaine, qui leur fournit 63% des légumes et 47% des fruits importés, selon le département de l’Agriculture. Plus de 80% des avocats viennent du Mexique.
L’économie mexicaine est la plus vulnérable aux droits de douane américains : selon Oxford Economics, les 25% imposés par Donald Trump pourraient entraîner une hausse de l’inflation, à 6% en rythme annuel (contre 4,2% sur un an en décembre), et un recul de 7% du peso. Suffisant pour plonger le pays en récession.
Les entreprises interrogées par l’AFP se sont refusées à tout commentaire et les représentants des industries restent discrets. Le gouvernement mexicain reste la voix du pays et la présidente Claudia Sheinbaum a assuré vendredi que son pays avait « un plan A, B, C » pour faire face aux droits de douane, sans pour autant donner de détails. Samedi, son ministre de l’économie Marcelo Ebrard a assuré que « le secteur privé serre les rangs autour de la présidente et de sa défense de l’intérêt national face à l’arbitraire commercial que nous devrons affronter dans quelques heures ».
Les États-Unis aussi touchés
Mais les droits de douane vont aussi affecter les États-Unis, avec une hausse des prix immédiate et à plus long terme « un haut niveau d’incertitude » lié au risque d’« escalade » commerciale, a estimé samedi auprès de l’AFP le chef économiste d’EY, Gregory Daco. Il estime à 0,6 point la hausse des prix supplémentaire à envisager au premier trimestre de cette année, pour une hausse sur l’ensemble de l’année limitée à 0,35 point. L’inflation va se renforcer « avant de graduellement ralentir, du fait de la destruction de demande qu’ils créeront et d’une hausse du dollar, qui viendront compenser la pression sur les prix », a-t-il complété.
Une situation qui peut cependant encore évoluer, en particulier si les pays concernés se lancent dans des représailles. « Le Mexique et le Canada pourraient aussi agir via l’ACEUM (l’accord de libre-échange Canada-Etats-Unis-Mexique, NDLR) et la Chine imposer des droits de douane ciblés », a-t-il détaillé.
Mais la vraie inquiétude viendrait « d’une escalade et que cela se transforme en guerre commerciale plus large et prolongée, avec l’Europe et d’autres partenaires commerciaux majeurs impliqués ». Il s’agit dans tous les cas pour les marchés d’une « politique entraînant un haut niveau d’incertitude, avec les investisseurs qui vont se préparer à la pression inflationniste » que les droits de douane vont entraîner, « des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement et de possibles représailles ».
Les droits de douane imposés aux trois pays interviennent alors que l’inflation aux États-Unis est repartie à la hausse sur les trois derniers mois de l’année écoulée, incitant la Réserve fédérale (Fed) à marquer une pause dans ses baisses de taux lors de sa dernière réunion, mardi et mercredi. Au mois de décembre, l’indice PCE, qui est privilégié par la banque centrale pour sa politique monétaire, est remonté à 2,6% sur un an, contre 2,4% un mois plus tôt, s’éloignant un peu plus de l’objectif de 2% à long terme visé par la Fed.