Dix jours après l’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie sur fond d’ingérence russe, la Commission européenne ouvre une enquête concernant l’application TikTok pour manquement à ses obligations, selon un communiqué de presse publié mardi 17 décembre.
Dans son rôle de gendarme du numérique, la Commission est chargée de veiller à l’application correcte du règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), qui régit la modération des contenus sur TikTok, ainsi que sur d’autres très grandes plateformes, et de s’attaquer aux risques liés à la désinformation et à la manipulation des élections sur ces plateformes.
Dans un communiqué de presse diffusé mardi 17 décembre, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, appelle en effet à agir « rapidement et fermement » contre l’ingérence étrangère après l’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie par la Cour constitutionnelle du pays, sans mentionner directement la Russie.
« Nous menons actuellement une enquête approfondie pour déterminer si TikTok a violé la loi sur les services numériques en ne prenant pas en compte ces risques [d’ingérence] », précise le document.
Concrètement, le candidat d’extrême droite et pro-russe Călin Georgescu est accusé d’avoir bénéficié d’un soutien coordonné à ses opinions politiques par le biais de paiements versés à des influenceurs pour des contenus promotionnels sur TikTok et organisés sur des chaînes Telegram.
La Commission cherchera donc à savoir si le système de recommandation de TikTok a été manipulé par des comptes robots automatisés.
L’organe exécutif de l’UE examinera également les politiques de TikTok en matière de publicités politiques, car des tiers ont contacté la Commission pour lui signaler qu’il n’y avait pas suffisamment de contrôle des paiements pour les publicités à contenu politique sur TikTok.
Après l’annulation de l’élection présidentielle roumaine, la Commission avait ordonné à TikTok de conserver tous les documents et données internes relatifs aux « risques systémiques réels ou prévisibles que son service pourrait faire peser sur les processus électoraux et le discours civique dans l’UE ».
En cas de manquement et d’infraction avérés, la Commission pourrait infliger à TikTok une amende pouvant aller jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial. En cas de violations graves et répétées, les plateformes peuvent même théoriquement se voir interdire toute activité en Europe.
La décision d’ouvrir une enquête « tient compte des informations reçues à partir de rapports de renseignement déclassifiés des autorités roumaines ainsi que de rapports émanant de tiers », a indiqué Bruxelles.
Elle s’appuie également sur une analyse des rapports d’évaluation des risques transmis par TikTok en 2023 et 2024, dans le cadre du DSA, sur les réponses de la plateforme aux questions de la Commission, ainsi que sur des documents internes fournis par TikTok.
Bien que TikTok coopère avec l’exécutif européen, les défaillances identifiées étaient suffisamment importantes pour justifier une enquête, selon des fonctionnaires de la Commission.
TikTok reste ferme dans son engagement à « protéger l’intégrité » de sa plateforme, a rappelé la plateforme sur son blog mardi.
« Nous n’acceptons pas les publicités politiques payées, nous supprimons de manière proactive les contenus qui violent nos politiques en matière de désinformation, de harcèlement et de discours haineux, et nous continuons à travailler avec la Commission européenne », a déclaré un porte-parole de TikTok en réponse à l’annonce de la Commission.
TikTok et le DSA, une relation orageuse
Il s’agit de la troisième enquête menée par la Commission à l’encontre de TikTok dans le cadre du respect du DSA.
La première, ouverte en février pour des raisons de protection des mineurs, de transparence de la publicité et d’accès aux données pour les chercheurs, est toujours en cours.
La deuxième a abouti, en août, à la suspension permanente de TikTok Lite au sein de l’UE à la suite d’inquiétudes concernant la conception addictive de l’application.
« En tant qu’Union européenne, nous avons la responsabilité de protéger nos processus démocratiques contre les manipulations et les interférences potentielles », a défendu Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive de la Commission chargée de la Souveraineté technologique.
La Commission surveillera de près les plateformes tenues de respecter le DSA lors des futures élections nationales en Europe, notamment la prochaine élection présidentielle en Croatie en décembre et les élections anticipées en Allemagne en février 2025.
« Je suis convaincue que notre enquête sur les pratiques de TikTok contribuera à créer un environnement en ligne plus sûr et plus fiable pour tous les citoyens de l’UE », a affirmé Henna Virkkunen.
[Édité par Anna Martino et Sarah N’tsia]