Depuis presque cinq ans, la galaxie SDSS1335 + 0728, située à 300 millions d’années-lumière, ne cesse de gagner en luminosité, et ce dans presque tout le spectre électromagnétique : elle s’est mise à briller dans le domaine ultraviolet d’abord, puis visible, infrarouge et, depuis février 2024, SDSS1335 + 0728 commence également à émettre des rayons X. Paula Sánchez Sáez, astrophysicienne à l’Observatoire européen austral, en Allemagne, et ses collaborateurs ont cherché à comprendre ce sursaut de luminosité galactique.
La plupart des grandes galaxies abriteraient en leur centre au moins un trou noir supermassif, allant de plusieurs millions à quelques milliards de masses solaires. La plupart de ces trous noirs sont calmes, ils ne présentent aucune activité particulière et sont donc invisibles. Mais si un trou noir supermassif capte et agglomère de la matière et du gaz environnants sous l’effet de son attraction gravitationnelle, il se forme autour de lui un disque d’accrétion. Quand matière et gaz spiralent vers le trou noir, les frottements produits dégagent suffisamment de chaleur pour ioniser la matière. Sous l’effet de la rotation du trou noir supermassif, une partie de cette matière ionisée est éjectée sous forme de jets, dont les rayonnements peuvent être observés. Le centre de la galaxie devient ainsi visible, c’est ce que l’on nomme un « noyau actif de galaxie ».
Ces noyaux actifs de galaxies sont surtout nombreux dans l’Univers primitif, car il y aurait eu davantage de gaz au cœur de ces galaxies jeunes que dans celles plus proches de nous, mais cela n’exclut pas que certains trous noirs supermassifs pourraient être activés grâce à la rencontre tardive d’un vaste nuage de gaz. Est-ce le cas de la galaxie SDSS1335 + 0728 ?
Les premières observations au début des années 2000 de cette galaxie, située dans la constellation de la Vierge, ne montraient pas de noyau actif. Aucune émission particulière n’était reçue depuis le centre de SDSS1335 + 0728. Mais, en quelques années seulement, la donne a bien changé. Depuis 2021, les émissions ultraviolettes sont quatre fois plus importantes qu’il y a vingt ans ; depuis juin 2022, le flux observé dans l’infrarouge a été multiplié par deux et, depuis février 2024, les premiers rayons X ont été enregistrés.
De telles variations d’intensité lumineuse ont déjà été observées aux abords d’autres trous noirs, dans le cas d’événements de rupture par effet de marée. Lorsqu’une étoile s’aventure trop près d’un trou noir, elle se fait déchiqueter par son attraction gravitationnelle. Le surplus de gaz et de matière apporté par cet astre mis en lambeaux entraîne une augmentation de la luminosité émise par le pourtour du trou noir. « Mais ces événements sont transitoires et durent tout au plus une centaine de jours, détaille Paula Sánchez Sáez. Pour que ça dure plusieurs années comme ici, il faudrait que ce soit un événement de rupture par effet de marée d’un genre encore inconnu. »
Si cet événement exotique ne peut encore être exclu, les chercheurs considèrent comme beaucoup plus probable que le trou noir supermassif d’environ 106 millions de masses solaires de la galaxie SDSS1335 + 0728 vient de s’activer. « Si tel est bien le cas, ça serait la première fois que l’on observerait un tel événement en train de se produire en temps réel », conclut la chercheuse.
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