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Les cours d’éducation sexuelle « sauvent des vies », témoignent des profs

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«On explique d’abord qu’on va parler de violences sexuelles. Puis on précise qu’il est possible de sortir. Ensuite, on leur présente des chiffres sur la réalité des violences sexistes et sexuelles, avec un quiz en forme de « vrai ou faux ». Est-ce que j’ai le droit d’envoyer un nude librement ? Est-ce qu’une main aux fesses est une agression sexuelle ? Cela permet de travailler sur des situations du quotidien. C’est à ce moment-là que la jeune fille est sortie. On voyait l’émotion qui commençait à monter chez elle et on se regardait en coin avec mes collègues. Il y a eu un temps de silence dans la classe puis la psychologue de l’établissement l’a rejointe pour la prendre en charge. »

Prof de lettres modernes depuis quinze ans dans un collège du Val-de-Marne, Alaïs Barkate enseigne depuis cinq ans l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité (Evars) à tous les élèves, de la 6e à la 3e. Elle a vu des enfants révéler des situations de violence sexuelles et d’inceste pendant son cours et se dit aujourd’hui persuadée que l’Evars « sauve des vies ». Notamment parce qu’elle permet aux enfants concernés de faire leur coming-out plus sereinement. « On ne tue pas des gens parce qu’ils sont cisgenres, mais on tue des gens parce qu’ils sont transgenres », argumente-t-elle dans un texte écrit pour son syndicat, la CFDT.

Les révélations peuvent arriver plus tard

Les cours d’Evars « sauvent des vies » à tous les niveaux – lycée, collège, primaire – mais c’est peut-être dans les petites classes qu’il y a le plus de révélations, selon Mathilde*, une professeure de lettres en Seine-Saint-Denis : « Au lycée, les enfants sont grands, les mécanismes de silenciation sont en place. » Sandra*, directrice d’une école élémentaire à Nantes et enseignante depuis dix-sept ans, se souvient d’un cours pendant lequel elle enseignait l’intimité, conjointement avec une infirmière. « Quand je prends ma douche, est-ce que c’est normal que mes parents soient là ? » interroge-t-elle.

Une petite fille en CM2 s’adresse alors à elle et dit avoir compris grâce à la séance que ce que son neveu plus âgé lui faisait pendant la sieste n’était pas normal. « Cette petite fille habitait chez sa sœur, qui n’était pas prête à entendre ça. Nous avons fait intervenir le médecin scolaire, qui l’a dit à la famille. Il n’y a pas eu d’enquête de police car le neveu n’était pas sur le territoire. Mais il y a eu un travail auprès de la famille », explique Sandra.

Les victimes de violence sexuelle ou de discriminations ne sont pas forcément identifiées immédiatement pendant les cours d’éducation à la sexualité. Les révélations peuvent arriver quelques jours ou semaines plus tard, le temps que l’enfant digère les informations reçues. Mais c’est bien le cours qui a joué le rôle de déclencheur, dans nombre de cas. Alaïs Barkate se souvient d’une élève qui est sortie d’une forme d’amnésie traumatique et a confié avoir été agressée par son oncle quelques semaines après une séance.

Prof en Alsace en classe de CM1 et CM2, Emilie a recueilli la parole d’un enfant agressé qui lui a confié subir « la même chose que sur des vidéos pour adultes » de la part de son frère aîné. « Cela ne s’est pas passé pendant un cours. Il est venu me le dire comme ça. Mais on avait déjà eu des séances, je pense que cela a joué » dit-elle aujourd’hui.

« C’est mieux quand les profs sortent de la classe »

Il peut être plus facile pour ces enfants aussi de se confier à une personne qui n’est pas le ou la professeure, que l’enfant va retrouver tous les jours ensuite en classe. Un infirmier ou une psychologue vont être préférés. « On s’est aperçu que le discours des élèves pouvait être différent quand ils s’adressaient à l’infirmière », rapporte ainsi Sandra, qui a de ce fait choisi de toujours faire les séances avec une infirmière.

C’est ce qui fait dire à Claudine Nièvre, conseillère conjugale et familiale du centre de santé sexuelle de l’hôpital d’Annecy, qu’il est important d’avoir des intervenants et intervenantes extérieures à l’Education nationale. L’an dernier, la professionnelle a consacré 80 heures de son temps à des interventions en classe. Elle a tous les ans une à trois révélations, qui se font parfois quelques jours plus tard dans son bureau. « C’est mieux quand les profs sortent de la classe, cela libère plus la parole », observe-t-elle. Ce n’est pourtant pas vraiment ce que prévoit le nouveau programme, selon lequel l’intervention d’associations agréées et d’institutions partenaires s’effectue toujours en « présence » d’ « un ou plusieurs membres de l’équipe éducative ».

« On n’est pas du tout formés ni accompagnés »

Face à cette parole, beaucoup des enseignantes interrogées se sont parfois sentis perdues, ou désemparées. Une institutrice qui a reçu les confidences d’une élève, agressée par son cousin, n’a pas fait de signalement. « Avec le recul, je me dis qu’on aurait dû le faire. On était un peu paumés ». Des témoignages qui devraient faire l’objet d’un signalement au procureur, en vertu de l’article 40 et du vade-mecum de l’Education nationale sur le sujet, font l’objet chez certaines personnes de simples alertes au département (« informations préoccupantes »). Un flou existe aussi sur l’information aux parents, certains enseignants affirmant que c’est une obligation sans restriction, alors même que le code de l’action sociale et des familles prévoit une exception lorsqu’il existe un risque de représailles.

« Les professionnels ne savent pas ce qu’il faut faire. C’est révoltant, on n’est pas du tout formés ni accompagnés, je vois que les profs minimisent ce que les enfants leur racontent, et on laisse des enfants se démerder dans leur famille tous les jours avec ça », dénonce Lolita Rivé, enseignante en CE1 qui a raconté son expérience de prof d’Evars dans son podcast « C’est quoi l’amour, maîtresse ? ».

Une prof dans un lycée de Seine-Saint-Denis confie avoir choisi de ne pas signaler une situation de violences sexuelles vécue par une élève, mettant en cause son oncle, parce que l’élève était presque majeure. Mais ressent aujourd’hui un doute mêlé de gêne : « Elle ne voulait pas que ça sorte. Je ne sais pas comment on fait quand les enfants ont quasi 18 ans. Cela aurait pu la mettre à la porte si je signalais. Je ne me suis pas sentie assez accompagnée, voire dans des injonctions contradictoires ».

Enseignantes et personnels vivent parfois mal aussi de ne pas savoir ce qu’est advenu l’enfant, et de ne pas connaître les suites données à leur signalement. D’autres auraient eu besoin d’un soutien psychologique, qu’elles n’ont pas osé demander. « Cela m’avait donné mal au ventre, du stress, du dégoût » raconte Emilie. « On ne sait pas ce qui se passe après. Les enfants se font enguirlander parce qu’ils ont raconté. On se sent impuissants à les protéger », témoigne Lolita Rivé.

« L’éducation au consentement commence maintenant »

Pour autant, malgré les difficultés, toutes disent l’importance de ces cours, notamment les jeunes, selon Mathilde, qui rapporte des suffrages massifs en faveur de l’Evars. « Cela conditionne les pratiques sexuelles de nos jeunes plus tard. C’est très important qu’une jeune fille comprenne qu’elle ne doit pas accepter des choses qui ne lui vont pas. Je suis confrontée toute la journée à des femmes qui font des IVG. Si elles avaient eu des cours d’Evars, elles n’en seraient peut-être pas là », estime Claudine Nièvre.

« Les enfants vivent du harcèlement, on les traite de  »pd’’. L’’Evars permet d’ouvrir le débat alors qu’on ne leur en parle jamais. C’est essentiel pour qu’ils grandissent bien et aient confiance en l’adulte, martèle Lolita Rivé. On n’est pas encore dans une société sans violence, on le voit avec le procès des viols de Mazan. L’éducation au consentement, cela commence maintenant. » Si l’éducation à la sexualité n’empêchera pas certains faits d’être commis, elle permettra peut-être de les repérer plus vite.

* Le prénom a été changé



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