Les flambées d’étoiles, moteur inattendu de la formation des sphéroïdes dans les galaxies primitives
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La majorité des étoiles de l’Univers résident au sein des sphéroïdes. Ces structures tridimensionnelles, presque sphériques, correspondent soit aux galaxies elliptiques soit au cœur des galaxies spirales. La formation de ces sphéroïdes n’est pas encore bien comprise. L’hypothèse la plus couramment avancée est que ces dernières naissent lors de collisions et de fusions de galaxies spirales. Mais l’observation de sphéroïdes dans l’Univers jeune, au sein de galaxies à flambée d’étoiles, a conduit Emanuele Daddi, chercheur au CEA-Saclay, et ses collaborateurs à repenser ce scénario.

Dans l’Univers, les galaxies peuvent être séparées en deux catégories principales. D’une part, les galaxies spirales, comme la Voie lactée, sont jeunes et riches en gaz. Ainsi, elles forment activement de nouvelles étoiles au sein d’un disque aplati en rotation. Le cœur de ces galaxies, lui, n’est pas aplati : il forme un sphéroïde, le bulbe, qui contient des étoiles beaucoup plus vieilles et où aucune nouvelle étoile ne se forme.

L’autre grande famille de galaxies est celle des galaxies elliptiques. Ces galaxies ne sont pas aplaties comme les galaxies spirales, mais sont presque sphériques. Ainsi, les galaxies elliptiques ne contiennent pas un sphéroïde en leur centre, mais sont, elles-mêmes, des sphéroïdes. Dépourvues de gaz, elles abritent uniquement des populations stellaires vieillissantes. Ces étoiles, rouges et peu massives, témoignent d’un système « mort », où aucun mouvement ordonné ne subsiste.

Comment se forment ces sphéroïdes ? Selon l’hypothèse dominante des fusions tardives entre galaxies spirales, ces collisions détruisent le mouvement ordonné des disques et compriment les étoiles en une structure centrale sphéroïdale. Selon l’importance de la collision, une structure spirale subsiste avec un bulbe ou la déstructuration est totale, d’où résulte une galaxie elliptique. Cependant, les résultats d’Emanuele Daddi et de ses collaborateurs révèlent que ces sphéroïdes se formeraient aussi directement dans l’Univers jeune, sans nécessiter de fusions préalables.

En utilisant des données archivées du réseau de radiotélescopes Alma, au Chili, les chercheurs ont étudié un échantillon d’environ 150 galaxies très lumineuses datant du « Midi cosmique », une période située entre 1,6 et 4,3 milliards d’années après le Big Bang. Ces jeunes galaxies sont dites « à flambée d’étoiles », puisque l’importante accumulation de gaz en leur centre leur permet de former plusieurs centaines de masses solaires d’étoiles par an, contre seulement une masse solaire pour la Voie lactée, aujourd’hui.

Les télescopes optiques, qui captent la lumière visible, ne permettent pas d’observer ce qui se passe au cœur de ces galaxies, et donc de voir la forme de la région où naissent les étoiles, car cette région est entourée d’une importante quantité de poussières, qui bloquent le passage de la lumière visible. En revanche, la lumière des astres qui se forment irradie ce mur de poussières, qui, en réponse, émet un rayonnement dans des longueurs d’onde submillimétriques. Justement celles auxquelles Alma a accès.

Galaxies - JWST - ALMA

Exemples d’images, en fausses couleurs, capturées avec le JWST, issues de l’échantillon de galaxies analysé par l’équipe d’Emanuele Daddi dans les données d’Alma. La barre blanche en bas des vignettes indique l’échelle, tandis que le nom de la source et le décalage vers le rouge (z) des galaxies sont mentionnés en haut de chaque vignette.

© Q.-H. Tan et al., Nature, 2024.

En sélectionnant les galaxies présentant les signaux les plus nets et en étudiant la distribution spatiale de la poussière chauffée par les étoiles, Emanuele Daddi et ses collègues ont déterminé la forme de la région de formation stellaire : les flambées sont concentrées dans des cœurs compacts et sphériques. Autrement dit, dans des sphéroïdes. Ces structures sphéroïdales pourraient donc se former directement au cœur des galaxies lumineuses et poussiéreuses de l’Univers primitif, lors d’intenses flambées d’étoiles. « C’est un scénario qui avait été prédit théoriquement, mais qui n’avait encore jamais été observé », révèle Emanuele Daddi.

Si ce résultat marque la première observation directe de sphéroïdes en cours de formation dans l’Univers jeune, reste à comprendre comment cette formation peut se faire « in situ », sans fusion galactique. Les flambées seraient déclenchées par une accrétion rapide de gaz froid, acheminé par des filaments cosmiques. Ce scénario n’est cependant pas exempt de difficultés, notamment parce que les filaments acheminent du matériel pendant des milliards d’années, alors que la formation intense d’étoiles se concentre sur des périodes beaucoup plus courtes, tout au plus 100 millions d’années. « Nous pensons que ces flambées seraient parfois amplifiées par des interactions gravitationnelles entre galaxies – des “flybys” ou passages rapprochés – qui augmentent temporairement l’accrétion de gaz », explique Emanuele Daddi. Une hypothèse théorique qui reste encore à confirmer.

Les observations actuelles, limitées par la résolution d’Alma, seront affinées grâce au télescope spatial JWST, capable de percer les nuages de poussières en observant dans l’infrarouge. Par ailleurs, l’étude de nouveaux traceurs comme le monoxyde de carbone permettrait de mieux comprendre la cinématique des gaz dans ces galaxies en formation.

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