Les résultats prometteurs d’Osiris-Rex
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Les météorites sont des messagers venus du fond des âges, fragments d’astéroïdes et de comètes qui se sont formés dans le Système solaire à partir de poussières et de gaz plus vieux que notre étoile. Mais leur message est souvent brouillé par l’échauffement et la contamination par l’atmosphère lors de leur arrivée sur Terre. Comment les scientifiques qui souhaitent explorer les premiers jours du Système solaire peuvent-ils contourner ce problème ?

C’est avec ce défi en tête que la Nasa a lancé la mission Osiris-Rex (Origins, Spectral Interpretation, Resource Identification, and Security-Regolith Explorer). Cette sonde s’est rapprochée de la surface de l’astéroïde géocroiseur Bennu, le 20 octobre 2020, et a récupéré des roches datant d’au moins 4,5 milliards d’années. En septembre 2023, l’engin spatial a frôlé la Terre et y a largué, en passant, une capsule contenant sa précieuse cargaison. Ce n’est pas la première mission à visiter un astéroïde. Mais elle a ramené le plus gros échantillon à ce jour : 121,6 grammes de matériau vierge datant de l’aube du Système solaire.

Presque aussitôt après l’atterrissage de la capsule, les scientifiques ont commencé leurs analyses. En décembre 2023, ils ont présenté leurs premières conclusions au monde entier lors d’une conférence. Leurs résultats sont préliminaires, mais il semble que la forme originale de Bennu était étonnamment familière. Il y a des milliards d’années, Bennu faisait apparemment partie d’un monde gorgé d’eau, riche en matière organique prébiotique (c’est-à-dire en composés à base de carbone qui constituent les briques élémentaires de la biologie telle que nous la connaissons) et doté d’un cœur géologiquement actif. À bien des égards, ce monde sans nom ressemblait peut-être à la Terre primitive avant l’émergence de la vie.

Des conclusions plus fermes sont encore à venir, mais il est déjà clair que ces précieux morceaux de Bennu recèlent un immense potentiel de découvertes. « Ce que nous essayons de faire avec ces échantillons, c’est de comprendre comment la Terre s’est formée – pas seulement d’où viennent son eau et ses composés prébiotiques –, mais comment la Terre elle-même est née », explique Harold Connolly, géologue à l’université Rowan, aux États-Unis.

Certains grains microscopiques de l’échantillon racontent une histoire qui remonte bien avant la naissance de la Planète bleue et même du Soleil. En reconstituant l’odyssée de Bennu, les planétologues espèrent trouver des réponses à des questions parmi les plus fondamentales de leur domaine. « Quelle était la composition initiale du Système solaire ? D’où venait cette poussière ? Venait-elle des restes d’une seule étoile ou de plusieurs générations d’étoiles ou de différents types d’étoiles ? », énumère Ashley King, du Musée d’histoire naturelle de Londres. « Jusqu’à présent, nous n’avons examiné que 1 % de l’échantillon », précise Harold Connolly. Mais cette quantité est déjà suffisante pour commencer à tester un certain nombre d’hypothèses sur la vie de Bennu.

Astérïde géocroiseur Bennu

L’astéroïde Bennu mesure environ 500 mètres de diamètre. Ce géocroiseur (son orbite coupe celle de la Terre) effectue un tour du Soleil en 436 jours.

© NASA/Goddard/University d’Arizona

Une question clé : de quoi était fait le corps d’origine (ou « parent ») de Bennu ? Les indices se trouvent dans les grains présolaires, des cristaux qui se sont condensés avant l’existence du Soleil. « Il s’agit des éléments constitutifs du Système solaire », explique Pierre Haenecour, cosmochimiste à l’université de l’Arizona. Les chercheurs ont identifié au moins deux grandes catégories de grains présolaires. Un grand nombre d’entre eux portent la signature chimique d’étoiles de masse intermédiaire ou faible qui étaient en fin de vie. Ces étoiles ont produit de puissants vents stellaires en vieillissant, expulsant une grande partie de leur atmosphère dans l’espace lointain, créant ainsi des nuages de gaz et de poussière où naissent de nouveaux astres. D’autres grains indiquent une origine plus violente. « Nous avons des grains présolaires dont la composition semble plus conforme à ce que l’on trouve dans les supernovæ », précise Pierre Haenecour. Dans l’ensemble, ces détails confirment l’hypothèse selon laquelle le Système solaire a été ensemencé et enrichi par la mort explosive de plusieurs étoiles.

Peu de temps après l’apparition du Soleil, des mondes ont commencé à se constituer autour de lui sous l’influence de la gravité, y compris le corps parent inconnu de Bennu. Si ce dernier se présente sous la forme d’un astéroïde de taille moyenne sur une orbite proche de la Terre, l’équipe soupçonne que son corps parent chargé d’eau a pris forme au-delà de la ligne des glaces, une limite thermique circumstellaire diffuse qui détermine où des substances plus volatiles, dont l’eau, peuvent exister sous forme de glace autour d’une étoile.

Il n’y a pas encore de consensus sur la distance à laquelle le corps parent de Bennu s’est formé : la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter ou quelque part plus loin ? La détection (ou l’absence) de certains types de cristaux de glace et de leurs empreintes dans les échantillons sera décisive pour trancher. Par exemple, la glace d’eau peut subsister à proximité du Soleil, y compris dans la ceinture d’astéroïdes, alors que le monoxyde de carbone gelé commence à se vaporiser à une plus grande distance, quelque part dans la région de Neptune.

Un témoin venu du froid

Selon Kelly Miller, cosmochimiste au Southwest Research Institute, de San Antonio, au Texas, la gamme de composés chimiques sensibles à la température déjà trouvés dans l’échantillon est « cohérente avec une origine lointaine dans le Système solaire ». La détection d’un soupçon d’ammoniac, un composé extrêmement volatil, a également été annoncée lors de la conférence. Cette molécule pourrait être associée à la matière organique de l’astéroïde, mais si elle provient de glace d’ammoniac, « cela pousserait [le corps parent de Bennu] encore plus loin dans le Système solaire externe », explique Harold Connolly, peut-être dans la région des planètes géantes de glace Uranus et Neptune, voire au-delà.

Quel que soit l’endroit où le corps parent de Bennu s’est formé, il n’était certainement pas inerte. L’échantillon semble être rempli d’argiles et d’autres assemblages de minéraux qui sont des signes clairs de transformations dynamiques, telles que la saturation en eau liquide ou même l’évaporation d’une partie de cette eau laissant des sels. « Bennu est dominé par des roches altérées par l’eau », explique Sara Russell, planétologue au Muséum d’histoire naturelle de Londres.

Cette eau était certainement chaude et maintenue à l’état liquide, au moins pendant quelques millions d’années. Cette chaleur provenait de la désintégration d’isotopes radioactifs dans le noyau du corps parent de Bennu. Pour atteindre une chaleur suffisante, il fallait que le précurseur de Bennu présente un diamètre d’au moins dix kilomètres. L’eau circulait probablement dans des systèmes hydrothermaux, s’enrichissant en minéraux au cours du temps.

« C’est un bel échantillon, déclare Sara Russell, qui ne ressemble d’ailleurs à aucune autre météorite de notre collection. » Une situation qui rend l’interprétation de la composition des échantillons de Bennu d’autant plus difficile. Notamment, un aspect particulier de sa chimie a suscité un débat intense.

En février 2024, l’équipe a annoncé la présence surprenante de phosphates dans l’échantillon. Sous la carapace glacée d’Encelade, une lune de Saturne géologiquement tumultueuse, se trouve un océan d’eau liquide chaude qui contient divers ingrédients essentiels à la vie, dont des composés phosphorés. Après avoir trouvé des phosphates dans l’échantillon de Bennu, Dante Lauretta, responsable de la mission Osiris-Rex, a émis l’hypothèse que l’astéroïde pourrait être un fragment d’un ancien monde océanique. « Je ne suis pas encore prêt à m’aventurer sur ce terrain, car nous n’avons pas encore assez exploité la pétrologie et la pétrographie pour être en mesure de reconstituer l’histoire complète », modère Harold Connolly.

Mais Bennu présente de nombreuses caractéristiques qui sont attribuables à une activité géologique surprenante. L’un des types de roches observés sur l’astéroïde par les caméras d’Osiris-Rex, qui ressemble à un chou-fleur, est « un mélange ». « Il s’agit d’un amas de roches sédimentaires écrasées, indique Harold Connolly, typiquement formées dans les zones de subduction, comme celles que l’on trouve sur les marges continentales de la Terre et dans les bassins sous-marins profonds. » L’idée que le monde précurseur de Bennu ait connu des mouvements de plaques tectoniques semblables à ceux de la Terre est pour le moins séduisante. Mais ces roches sont chaotiques et difficiles à interpréter. « Cela ne signifie pas que le corps d’origine était tectoniquement actif », précise la chercheuse.

À l’heure actuelle, la plupart des scientifiques se représentent davantage le précurseur de Bennu comme un astéroïde gorgé d’eau à la jeunesse dynamique qu’un monde géologiquement hyperactif. « J’aime à penser qu’il s’agit d’une grosse boule de boue », confie Ashley King.

Cette boule de boue a fini par se retrouver dans la ceinture d’astéroïdes, peut-être après avoir été arrachée à une orbite plus éloignée par l’attraction gravitationnelle de Jupiter. Une hypothèse de travail est qu’après environ trois milliards d’années, ce corps parent a été détruit par une collision catastrophique, libérant l’éclat rocheux que nous appelons aujourd’hui Bennu. Ce dernier s’est ensuite frayé un chemin dans l’espace proche de la Terre. Cette migration vers l’intérieur du Système solaire évoque un chapitre essentiel de son histoire : les bombardements qui ont apporté l’eau et la matière organique prébiotique aux mondes rocheux évoluant le plus près du Soleil.

« C’est une question ancienne, d’où vient l’eau de la Terre ? », souligne Richard Binzel, spécialiste des astéroïdes au MIT (Massachusetts Institute of Technology). « Pendant longtemps, nous avons pensé que l’eau provenait des comètes, car ce sont les objets les plus riches en eau que nous connaissons. » Mais ces dernières années, des analyses de la glace d’eau sur diverses comètes ont révélé que son empreinte chimique y est très différente de celle de l’eau qui remplit les océans de la Terre.

À l’inverse, l’eau contenue dans une myriade de météorites hydratées est beaucoup plus proche de celle qui se trouve dans les réservoirs de notre planète. Qu’en est-il de Bennu ? La question reste ouverte. Mais que Bennu contienne ou non de l’eau semblable à celle de la Terre, il n’y aura pas de réponse définitive : les mers et les océans de la Terre résultent probablement du mélange de diverses sources cosmiques. Et un autre scénario reste encore considéré : l’eau était peut-être déjà présente dans les constituants qui ont formé la planète ; emprisonnée à l’intérieur de la Terre, elle aurait ensuite fait son chemin vers la surface par le biais d’un volcanisme ancien.

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Le 20 octobre 2020, la sonde Osiris-Rex a amorcé son approche de la surface de l’astéroïde à une vitesse de 10 centimètres par seconde. Elle était équipée d’un bras robotisé supportant le système de prélèvement Tagsam. Ce dernier a été la seule partie en contact avec le sol, pendant 5 à 6 secondes. Un jet d’azote gazeux a soulevé des poussières et des petites roches du sol qui ont été collectées par le Tagsam. Cette séquence de photographies réalisées par la caméra SamCam a permis de s’assurer de la réussite de l’opération.

© Nasa/Goddard/Université de l’Arizona

Autre volet important de l’étude des échantillons de Bennu : les composés organiques. « La biologie est née de la chimie », explique Louisa Preston, astrobiologiste à l’University College de Londres. Bennu n’apportera aucune réponse concrète à la question de savoir comment la vie est apparue sur Terre, mais la vie ne pourrait exister sans une série de composés carbonés tels que les acides aminés. Un scénario de la chimie prébiotique avance que ces composés se sont formés dans le milieu interstellaire avant que des astéroïdes comme Bennu ne les aient amenés sur Terre.

« Nous savons que les astéroïdes peuvent apporter ces molécules sur Terre. Mais l’étape clé est la suivante : comment sont-elles devenues de la vie ? Nous devons commencer par faire l’inventaire de tous ces composés pour répondre à cette question », explique Ashley King. L’équipe a déjà identifié une longue liste de molécules organiques, dont une série d’acides aminés, présents dans l’échantillon. « Ils ont trouvé de l’uracile et de la thymine – l’uracile étant l’une des quatre bases nucléiques de l’ARN et remplacé par la thymine dans l’ADN », précise Louisa Preston. Certaines de ces molécules auraient même une origine antérieure à la formation du Système solaire. « Bennu contient de la matière organique qui s’est formée dans le milieu interstellaire », note Ann Nguyen, planétologue à la Nasa.

Tous les astrobiologistes ne sont pas obnubilés par les acides aminés. « J’ai une position un peu atypique », confie Cole Mathis, à l’université d’État de l’Arizona. Cet astrobiologiste ne s’intéresse pas particulièrement à l’abondance de la matière organique dans Bennu. « Il n’est pas difficile de fabriquer des acides aminés, note-t-il. Si vous combinez de l’azote, du carbone et de l’oxygène, ces molécules sont plus ou moins inévitables. » Des astéroïdes ont peut-être livré ces composés sur Terre, mais, tout comme l’eau de la planète, ces molécules ont tout aussi bien pu se former directement sur Terre.

Recherche de complexité

Cole Mathis souhaite utiliser Bennu pour explorer la frontière entre la chimie et la biologie. « Certaines molécules sont si complexes que seule la vie est en mesure de les fabriquer », explique-t-il en citant l’exemple de la vitamine B12. Il ne s’attend pas à ce que l’on trouve quelque chose de ce genre dans l’échantillon. Mais il voudrait déterminer quelles molécules sont synthétisées à la fois par la vie et par la chimie abiotique, et lesquelles ne peuvent être produites que par des processus biologiques. « Où se situe cette frontière ? », demande-t-il. Il espère que Bennu lui donnera des indices sur cette limite, car plus un composé organique est complexe, plus il est difficile pour la chimie seule de le fabriquer. La question de Cole Mathis ne porte donc pas sur l’abondance, mais sur la convolution chimique : « Quelle est la molécule individuelle la plus complexe que l’on puisse trouver dans les échantillons de Bennu ? »

Les réponses à cette question et à bien d’autres sont imminentes. Elles sont cachées dans un petit sachet de poussière d’astéroïde non altérée qui attend d’être analysée sous tous les angles. Ces grains ont peut-être coûté 1,2 milliard de dollars pour être ramenés sur Terre, mais ils n’ont pas de prix parce qu’ils apporteront une fondation concrète à ce célèbre aphorisme : « Nous sommes tous des poussières d’étoiles. » En effet, les scientifiques seront bientôt en mesure de remonter la trace de la provenance de ces poussières d’étoiles, qui ont servi à fabriquer tout ce que nous voyons, y compris la Terre et nous-mêmes.

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