Combien de météorites tombent sur Terre en moyenne chaque année ?
La Terre est bombardée en permanence par des corps plus ou moins gros. On estime que la planète gagne ainsi plusieurs dizaines de tonnes chaque jour. Mais c’est essentiellement sous forme de poussière. Les météorites sont les fragments qui atteignent la surface sans être complètement détruits.
Le réseau Fripon, qui comprend une centaine de caméras partout en France (et s’étend dans d’autres pays), surveille le ciel 24 heures sur 24. Sa mission est de détecter l’entrée dans l’atmosphère de météorites suffisamment grosses, qui laissent un signal lumineux, les « étoiles filantes ». Le réseau repère en moyenne trois chutes de météorites par an en France. Elles sont observées uniquement la nuit, donc il tombe environ 5 à 6 météorites par an dans l’Hexagone. La superficie du pays correspond à un millième de celui de la Terre, par conséquent une estimation grossière est d’environ 5 000 météorites par an sur la planète.
Avec les données de Fripon, nous pouvons trianguler la zone approximative où la météorite chute. Et, avec des volontaires, nous essayons de récupérer ces objets. À l’échelle du globe, beaucoup de météorites tombent dans la mer ou dans des régions inaccessibles comme l’Antarctique. Environ 80 000 météorites sont répertoriées.
Ont-elles toutes la même composition ?
Non, il y a une classification très riche des météorites. Cette diversité est très importante, car elle fournit de nombreuses informations sur l’histoire du Système solaire. Un point crucial est que deux météorites avec la même composition proviennent probablement d’un même corps parent. La question qui nous intéresse est d’arriver à identifier ce corps parent.
Par exemple, les achondrites sont une classe de météorites qui émanent de corps différenciés, c’est-à-dire les objets de plusieurs centaines de kilomètres de diamètre où il y a eu formation d’un noyau, d’un manteau et d’une croûte. La plupart de ces achondrites ont été reliées à trois sources : Mars, la Lune et Vesta, le deuxième plus gros astéroïde de la ceinture principale. Dans le cas de Mars, l’analyse du contenu en gaz nobles dans les météorites comparée aux relevés des mesures des sondes Viking (qui ont visité la Planète rouge dans les années 1970) a permis d’établir ce lien. Ces météorites ont terminé leur voyage sur Terre après avoir été arrachés de la surface de Mars lors d’une collision violente avec un astéroïde. Pour la Lune, ce sont les échantillons des missions Apollo qui ont servi de référence. Pour Vesta, Richard Binzel, du MIT, et ses collègues ont mené, en 1993, une analyse spectrale de la lumière renvoyée par la surface de l’astéroïde et des membres de sa famille, dont la signature est unique et atypique.
Avec ces achondrites, nous avions identifié l’origine de 6 à 7 % des météorites. Il en restait une très vaste majorité.
Vous vous êtes intéressés aux chondrites. De quoi s’agit-il ?
Ce sont les météorites provenant de corps non différenciés. Ils sont constitués d’un mélange de silicates et de métaux, en particulier de fer et de nickel. Leur composition se rapproche du matériau qui a formé le Système solaire à sa naissance, il y a 4,57 milliards d’années. On constate cependant des variations dans le contenu en fer, ce qui a conduit les spécialistes à définir trois catégories, notées H, L et LL, qui ont respectivement une teneur élevée, faible et très faible en fer. L’hypothèse de travail est que chaque catégorie provient d’une unique famille d’astéroïdes.
Qu’est-ce qu’une famille d’astéroïdes ?
Quand on observe la ceinture principale, on y voit des regroupements d’astéroïdes, comme des sortes de nuages. Et tous ces astéroïdes partagent les mêmes caractéristiques orbitales : demi-grand axe, excentricité, inclinaison, etc. Ce sont les débris d’un corps parent qui a été détruit lors d’une collision. Les analyses spectroscopiques montrent qu’ils ont tous la même composition, ce qui confirme cette hypothèse. Ainsi, suite à la destruction du corps parent, certains débris sont propulsés vers la région interne du Système solaire et finissent en partie sur Terre.
On connaît près d’une centaine de familles dans la ceinture d’astéroïdes. Les plus jeunes ont 100 000 ans et certaines ont quelques milliards d’années.
Comment faites-vous pour dater la naissance d’une famille ?
Pour les plus jeunes, nous sommes capables de prendre la trajectoire des objets de la famille et d’intégrer les orbites en remontant le temps. Le point de convergence donne le moment où l’objet parent a été détruit. En 2002, une équipe a montré que cette technique fonctionnait pour la famille Karin, qui a 5,8 millions d’années. Mais c’est la limite de cette approche. Au-delà, des perturbations dynamiques non gravitationnelles brouillent les calculs.
Pour les familles plus anciennes, nous utilisons l’effet Yarkovsky, qui est lié au rayonnement thermique du Soleil perçu par l’astéroïde. Comme ce dernier tourne lentement sur lui-même, il présente une asymétrie avec une face exposée au soleil qui chauffe et l’autre qui est froide. Il résulte de la réémission de cette chaleur asymétrique sous forme de rayonnement une force qui dévie l’astéroïde. Cela ne se manifeste que pour les petits astéroïdes et provoque un étalement du nuage de la famille. Nous pouvons estimer l’âge de la famille grâce à cet éparpillement.
Nous utilisons aussi la distribution en taille des objets de la famille. En effet, cette distribution évolue au cours du temps. Les gros objets, de plus de 10 kilomètres de diamètre, vivent très longtemps, plus que ceux de seulement 1 kilomètre, qui disparaissent à cause d’une érosion collisionnelle au sein du nuage de la famille. La distribution se modifie progressivement avec la perte des plus petits corps.
Avec ces méthodes, des collègues ont par exemple montré que la famille Flora est âgée d’environ 1 milliard d’années.
Quels sont vos résultats ?
Aux approches précédentes, il faut ajouter près de vingt ans d’analyse spectrale dans l’infrarouge de la surface des objets dans chacune des différentes familles. On a donc la composition des familles et, en laboratoire, la composition des météorites. Quand on met ensemble toutes les pièces du puzzle, trois familles sortent du lot : Karin, Koronis et Massalia. Karin et Koronis appartiennent à une même grande famille qui date de 2 milliards d’années. Celle-ci devait avoir de gros débris qui, lors de collisions internes, ont produit Karin et Koronis, il y a respectivement 5,8 et 7,5 millions d’années. Ces deux familles seraient à l’origine des chondrites H, qui représentent 34 % des chutes. Massalia est estimée à près de 40 millions d’années et serait la source des chondrites L, qui correspondent à 36 % des météorites collectées sur Terre. Cette famille est d’abord née il y a 470 millions d’années. C’est une seconde collision sur l’astéroïde Massalia lui-même, il y a 40 millions d’années, qui est à l’origine des chondrites L actuelles.
Est-ce un hasard s’il s’agit de familles jeunes ?
Pas du tout. Cela dessine un scénario assez simple. Lors de la naissance d’une famille, la destruction d’un corps de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre produit de nombreux débris de taille métrique qui vont enrichir la partie interne du Système solaire en météorites. Ceux-ci s’épuisent en environ 40 à 50 millions d’années et sont remplacés par les débris de nouvelles collisions.
Et qu’en est-il des chondrites LL ?
Elles sont associées à Flora, donc un nuage beaucoup plus ancien.
N’est-ce pas en contradiction avec le scénario esquissé ?
Pour Flora, et dans une moindre mesure Vesta pour les achondrites, on a là des familles vraiment énormes qui surclassent toutes les autres. Par conséquent, malgré leur âge, elles n’ont pas totalement disparu. Les collisions au sein de Flora continuent d’alimenter le Système solaire en météorites, qui représentent tout de même 14 % des chutes sur la Terre.
Par ailleurs, Vesta et Flora sont situées près de résonances gravitationnelles qui agissent comme des autoroutes très efficaces qui envoient les débris vers la Terre. De la même façon, si Karin et Koronis étaient situées à la place de Massalia, on aurait beaucoup plus de météorites H que de L. Et, à l’inverse, si Massalia était à la place de Karin et Koronis, on aurait dix fois moins de chondrites L que de chondrites LL de Flora.
Parmi les chondrites, il y a la catégorie des chondrites carbonées, avez-vous déterminé leur origine ?
Les chondrites carbonées sont les météorites les plus primitives du Système solaire. Dans cette catégorie, la famille Veritas est la seule collision majeure et récente. Les autres sont, comme Flora, très grosses et anciennes, et continuent d’alimenter le flux de météorites. Un exemple est la famille Polana, qui se situe dans la partie interne de la ceinture principale. D’ailleurs, les échantillons rapportés par les sondes Osiris-Rex et Hayabusa2, respectivement des astéroïdes Bennu et Ryugu, suggèrent que ces corps proviennent tous les deux de la famille Polana. Le corps parent devait avoir une taille comprise entre 100 et 150 kilomètres de diamètre.
Quelle part des météorites a-t-on ainsi identifiée ?
Nous avons accompli un grand pas en avant dans ce domaine avec cette étude. Si on somme les achondrites, qui étaient déjà connues, et les chondrites de Massalia, Karin et Koronis, nous arrivons à près de 90 %. Mais d’une certaine façon, nous avons fait la partie la plus facile ! Les 10 % restant cumulent une trentaine de classes de météorites. Pour les météorites métalliques, on en compte plus de dix différentes. Ces classes mineures correspondent probablement à des collisions de petits objets ou des collisions anciennes largement disparues. Les signatures vont être beaucoup plus ténues.
Mais une aide importante va venir de l’observatoire Vera-Rubin, au Chili, qui commencera à scruter le ciel cette année. Une de ses missions est de répertorier les corps dans le Système solaire. Il devrait être capable de discerner des objets de seulement 500 mètres de diamètre. De quoi découvrir de petites familles, qu’il faudra associer aux petites classes de météorites. Un vrai travail de fourmi !
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