l’essentiel
Dans une belle bâtisse située à 5 minutes de Lamagistère (Tarn-et-Garonne), près de Valence d’Agen, des seniors en « coloc » trouvent une alternative réjouissante à une maison de retraite sans âme, et partagent même la vie de la famille des propriétaires.
« Pourquoi suis-je ici ? La réponse est simple : pour tordre le cou à la solitude. » Marie-Christine, 77 ans, est l’une des cinq locataires du domaine de Bellevue, sis à Lamagistère (Tarn-et-Garonne). Arrivée le 6 novembre 2024, elle dispose d’une vaste chambre de 25 mètres carrés au rez-de-chaussée de la demeure, tout près de la cuisine. La salle de bains et les W.-C. sont juste à côté.
« J’ai même pu amener mon chat », complète cette femme chaleureuse, qui pour l’instant a gardé ses attaches en Espagne, près de Cadix. « J’aurais pu rester là-bas, bien sûr, mais figurez-vous qu’en six mois, mes principaux amis ont tous passé l’arme à gauche. Je me suis retrouvée seule avec moi-même, trop dur. Alors j’ai cherché une sortie de secours, et sur Facebook, la « coloc » de Bellevue est apparue. Je suis venue faire un test pendant trois jours, et mes bagages ont vite suivi. Depuis, je vais super bien. J’apprécie le contact avec les quatre autres locataires, et la famille d’accueil est adorable. On partage beaucoup de moments ensemble ».
Une des jolies salles de bains de Bellevue, demeure spécialement lumineuse DDM – Manuel Massip
La famille d’accueil, c’est notamment Fanny Drion et sa mère Valérie Leralu. La première était il y a encore quelques mois enseignante en région parisienne, la seconde est toujours professeure de maths à Agen, mais désormais à mi-temps.
Tous ensemble lors des fêtes de fin d’année 2024 DDM – V.L.
Presque un château
Le domaine de Bellevue, véritable petit château avec ses 200 ans d’histoire, ses écuries, un parc à l’anglaise, une pièce d’eau, un kiosque et des cèdres majestueux, incarne parfaitement le concept de « coloc » pour seniors, en général seuls, et encore vaillants. La formule est émergente, mais elle rencontre un certain succès, du moins pour ceux qui peuvent se l’offrir. Entre 980 et 1 180 € par mois à Bellevue selon la taille de la chambre, « mais tout est compris, les charges, l’internet, la climatisation, l’entretien des extérieurs, celui de la piscine. Et puis, nous sommes deux en permanence sur place, pour parer à tout, rendre des services aux locataires, comme les véhiculer pour les courses ».
Marie-Christine, ce matin-là, a passé un peu de temps dans l’un des trois salons du château, devant un grand écran. Elle migrera dans un autre pour y faire de la couture. En fin de journée, elle se rapprochera de la cuisine. « Cinq ou six soirs par semaine, la plupart des locataires dînent avec nous. On a recréé une vie de famille », s’enthousiasme Valérie. « Et il y a suffisamment d’espace (650 mètres carrés) pour que chacun puisse s’isoler quand il en a besoin », ajoute Marie-Christine.
Un demi-frigo pour chacun
Les choses ont été bien pensées : chacun dispose d’un demi-frigo pour le frais, et de plusieurs casiers étiquetés pour les autres provisions. Mais à passer quelques heures au château, on comprend que les victuailles se partagent facilement. « On a un certain âge, philosophe Marie-Christine, même si on a du caractère, on sait faire avec les autres ». Et puis la famille d’accueil, de l’avis général, est « géniale ».
Des casiers à provisions étiquetés pour chaque colocataire DDM – Manuel Massip
D’autant qu’elle n’impose aucune règle. Les deux autres enfants de Valérie, 17 et 28 ans, apportent de la jeunesse. « C’est le côté intergénérationnel de Bellevue, c’est la bonne formule », atteste encore Marie-Christine, qui attend les beaux jours pour aller planter quelques fleurs dans le parc.
Denise, médecin à la retraite et peintre reconnue, a pu installer son atelier dans le grenier, où s’entassent les bagages de tous les résidents. Patricia, ce jeudi, avait rendez-vous pour une opération de la cataracte. Elle est aussi à l’unisson. Comme Stanislas, 72 ans, qui lui aussi attend le printemps pour s’occuper du jardin. « Pour Noël et le 31 décembre, on s’est tous retrouvés. Il y avait même la fille et la petite-fille de Denise. Quand je vous parlais de famille », résume Valérie. Ces « colocs » pour seniors en forme sont peut-être le futur des maisons de retraite, qui sait ?
Une formule séduisante, mais il faut franchir le pas
« Tout est parti d’une réflexion familiale au sujet de ma belle-mère et de son avenir, raconte Valérie, on a cherché des hébergements possibles, et de fil en aiguille, l’idée d’accueillir nous-mêmes, chez nous, des seniors, et d’organiser la vie qui va autour, nous a bien plu. Fanny, alors prof en région parisienne, cherchait en outre un moyen de revenir dans le Sud-Ouest, et moi, enseignante à Agen, je me voyais sinon passer à autre chose professionnellement parlant, au moins baisser de rythme ».
Vue du château, bâti en 1827, depuis le kiosque un matin d’hiver DDM – Manuel Massip
Mère et fille partent donc en quête d’un logement conséquent, en passent plusieurs en revue dans un large rayon autour de Valence d’Agen. Et puis le domaine de Bellevue leur est apparu à 5 minutes de Lamagistère, où il y a tout, y compris deux médecins, « dont un nous garantit la prise en charge de nos résidents ».
« Un plan idéal, poursuit Fanny, car l’ancien propriétaire, un agriculteur, avait organisé une partie du château en chambres d’hôtes. L’intérieur était correct, hormis une décoration hors d’âge. Entre avril et septembre 2023, nous avons trimé pour rendre les huit chambres et les parties communes à notre goût. Il a fallu tout meubler, « en récup’ », refaire les volets extérieurs, acheter des équipements, les cinq frigos, etc. ».
Ironie du sort, la belle-mère en question ne fait pas partie des résidents actuels. « Sauter le pas n’a rien d’évident pour les personnes âgées, remarque Valérie, même si on est seul et pas très bien chez soi, c’est quand même chez soi. Ici, on peut tester avant de s’installer, emporter ses meubles. Il reste d’ailleurs une chambre disponible. ».