En cette presque Saint-Valentin, les applis de rencontre ne font plus chavirer les cœurs. Cupidon se frotte les ailes. Ses flèches semblent à nouveau atteindre leurs cibles à défaut de rebondir sur le verre froid d’un écran de smartphone. Match Group, numéro un mondial des applications et sites de rencontres (Meetic, Hinge, Pairs, Tinder…) ne séduit plus : au cours de ces cinq dernières années, le cours de bourse de l’entreprise s’est effondré de 86%.
L’amour serait-il à ce point-là en perdition au point de faire faner cette rose « qui ce matin avait éclose », comme l’écrivait Ronsard ? Rien de tout ça même si les plus chafouins argumenteront que tout fout le camp, même l’amour, comme en attestent les mauvais indicateurs démographiques des plus grandes nations. On se consolera en se remémorant les paroles d’Alain Souchon qui préconisait de passer « son amour à la machine… pour voir si les couleurs d’origine peuvent revenir. »
Lassés des applis
En tout cas, et à lire ceux qui analysent ce business des rencontres et de l’amour en ligne (il faut lire l’enquête racontée à la première personne de Judith Duportail : L’amour sous algorithme ou bien, plus récemment l’essai d’Aurélie Jean : Le Code a changé: Amour et sexualité au temps des algorithmes) pas sûr que, comme poursuit Alain Souchon, les couleurs soient aussi belles qu’au premier jour et cela en raison de deux raisons structurelles qui lassent tous ceux qui, comme sur Tinder, attendent le fameux «It’s a match ! », annonciateur du début d’une future parade amoureuse.
Première raison : si les apps de rencontre ont pour objet de vous faire rencontrer le grand amour, concrètement, elles ont aussi la fâcheuse tendance à vouloir retenir leurs utilisateurs, du fait qu’elles ont besoin d’utilisateurs (payants de surcroît). Et puis, bien sûr, le jour où le grand amour est trouvé, ces « facilitateurs de rencontres » perdent d’un coup non pas un, mais deux clients à la fois. Pas idéal pour, et sans mauvais jeu de mots, « fidéliser » ses clients et partant de son modèle économique.
Asymétrie d’information
La deuxième raison qui explique ce désamour croissant à l’égard de ces plateformes de rencontres est à chercher du côté de la théorie économique et plus particulièrement en lien avec les travaux de George Akerlof, prix Nobel d’économie 2001. Cet universitaire américain fut récompensé pour des travaux sur les asymétries d’information. Dans un article titré « The Market for ‘Lemons‘ » (ou « asymétrie d’information »), l’universitaire analyse comment les différences d’information entre acheteurs et vendeurs peuvent conduire à des inefficacités sur le marché, et cela en réduisant la qualité moyenne des produits disponibles.
Si ses recherches ont profondément influencé la compréhension des marchés et des comportements économiques, dans le cas des applis de rencontre, une sorte de lassitude s’installe entre « acheteurs » et « vendeurs » du fait que les qualités intrinsèques de l’offre et de la demande ne sont pas celles qui ont été présentées. In fine, une telle situation ayant pour conséquence que l’une des deux parties, « se retire du marché » ne laissant plus que des « produits bidons (en anglais, des « lemons », en référence à ces voitures d’occasion d’apparence parfaites, mais qui en réalité cachent de nombreux problèmes). Dit autrement, et au titre de ce marché des applications de rencontre, le doute des uns nourrit celui des autres jusqu’à engendrer des situations asymétriques où la méfiance domine. Tout l’inverse de l’effet recherché.
Et plus si affinité
Plus prosaïquement, ce désamour pour les applis de rencontre peut aussi, supposons-le, s’expliquer par le fait que tout n’est pas calculable, « computationnel » en ce monde. Le recours immodéré aux algorithmes qui boostent ces applis permet certes d’obtenir des résultats immédiats et nombreux, mais, au final, réduisent toujours plus nos comportements, traits de caractères et goûts personnels à de simples calculs. Ces derniers ayant tendance à réduire la part d’irréductible humanité que nous portons en chacun de nous. Demain, pourrons-nous compter sur l’intelligence artificielle pour nous faire rencontrer le grand amour ?
Peut-être bien si l’on en croit Anis Ayari, ingénieur en intelligence artificielle et youtubeur. Sur sa chaîne, Defend Intelligence, il explique comment il a codé un système d’IA capable de discuter avec des milliers de personnes quotidiennement, en ce compris entamer des dialogues dignes des techniques de drague les plus classiques, à l’instar de discussion à bâtons rompus sur presque tout et rien. Sous cette forme de chatbot interactif, l’IA devenant presque une sorte « d’entremetteur » permettant de s’épargner, quelle tristesse… le sel des prémisses amoureuses ; à moins que l’on préfère la compagnie d’une machine jusqu’à en tomber progressivement amoureux, comme en témoigne le cas récent de cette jeune femme qui voit en une intelligence artificielle, prénommé Elias, un partenaire affectif. Sous une forme encore plus romancée, on se replongera bien sûr avec délectation dans le film de Spike Jonze, « Her » : Théodore (l’humain) tombant peu à peu amoureux de Samantha (l’IA). Et non l’inverse…
IA au service de l’amour
Bien loin de l’usage de cette technologie-là presque entièrement vouée à substituer l’arithmétique au hasard des rencontres, je préfèrerais, et de loin, savoir pouvoir compter sur une IA conçue et programmée pour aider et « aimer » les humains. Ces univers-là existent, mais pour l’instant uniquement en fiction à l’instar de deux récents romans.
Le premier, « Klara et le Soleil » de l’écrivain britannique Kazuo Ishiguro. Le second, « Le Regard d’Aurea », tout récemment publié, par le médecin-romancier Isaac Azancot. Dans l’un et l’autre ouvrage, cette vision que l’amour, l’attention à l’autre, l’éthique… doivent faire partie des composantes de notre avenir technologique. Au-delà de ces deux récits qui décrivent des romances intimes, on y trouvera une réflexion profonde et humaniste sur l’amour. Accessoirement, cela pourrait être une excellente idée de cadeau de Saint-Valentin…