
Depuis les années 1950, les pesticides se sont imposés dans le paysage agricole français. Dans les champs, les vignes ou sur les animaux, les traitements se sont multipliés. Aujourd’hui, la question des conséquences se pose pour toute une génération d’agriculteurs, avec l’augmentation des maladies professionnelles liées à cette exposition.
L’usage des produits phytosanitaires s’est généralisé dans l’agriculture. Une utilisation insouciante, jusqu’au jour où des maladies apparaissent. Par exemple, Yves Coquard agriculteur à la Maison-Dieu, dans le Nord de la Nièvre, a exploité pendant une quarantaine d’années 40 hectares de terres.
Le traitement des cultures par des pesticides est généralisé, l’usage des produits engendre des maladies professionnelles reconnues.
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© Sophie Hémar – France Télévisions
Céréales, bovins, brebis, volailles, tout au long de son activité d’agriculteur, Yves Coquard a côtoyé et utilisé les produits phytosanitaires : “Sur les céréales, c’était désherbant, traitement de semences, on n’avait pas de cabine sur le tracteur, pas de protection, on n’avait rien. Il y avait un jet de bouché (il mime de mettre le tuyau à la bouche pour le déboucher) sauf qu’il ne faut pas le faire, on le faisait tous ! On n’avait pas regardé les têtes de mort qu’il y avait sur les bidons.”
Deux ans après son départ en retraite, des examens lui révèlent un cancer de la prostate.
L’agiculteur témoigne : “Après que le chirurgien me l’a annoncé, en sortant de son bureau, il me dit : ça n’a pas l’air d’aller Monsieur Coquard. Ben non, le cancer de la prostate, j’ai un copain qui en est mort !”
Cancer de la prostate, maladie de Parkinson et lymphomes non-hodgkiniens sont les 3 maladies professionnelles pour lesquelles le lien avec les pesticides est reconnu, selon l’INRS. D’autres cancers, comme le cancer des reins, de la vessie ou des maladies pulmonaires pourraient l’être bientôt.
Alain Escurat, autre agriculteur retraité, a été le premier dans la Nièvre à faire reconnaitre un cancer de la prostate : « Honnêtement, quand vous apprenez ça, vous avez tendance à vous mettre la tête dans le sable et puis attendre que ça passe, et ça ne passe pas. Donc on fait avec.»
Au cours de son long parcours administratif, il a pu compter sur l’accompagnement d’une association d’aide aux accidentés de la vie, une aide précieuse : “Personne ne nous en parle, notre sécurité sociale agricole, elle est très discrète, elle est très silencieuse là-dessus. Si j’étais tout seul, cela n’aurait jamais abouti, parce que j’aurai laissé tomber depuis longtemps. Là, on a des contacts, on nous écrit ce qui ne va pas, on nous remplit même le dossier parce qu’on a oublié des choses.”
L’usage des pesticides s’est accéléré depuis les années 1950, un usage devenu courant, qui a engendré des maladies professionnelles chez les agriculteurs
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© Sophie Hémar – France Télévisions
En 2020, l’Etat a créé un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. Financé à 30% seulement par les fabricants de produits phytosanitaires et à 70% par la sécurité sociale, il est censé réparer en partie les dommages causés.
La FNATH (fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés), plus connue sous le nom d’association des accidentés de la vie, vient en aide à ces agriculteurs touchés par une maladie professionnelle.
Michel Greco, juriste et président de la FNATH Centre-Est, en explique le fonctionnement : “Quand vous avez une maladie professionnelle, vous êtes indemnisé par un taux d’incapacité qui vous donne droit soit à un capital, soit à une rente. A ce moment-là, la victime perçoit une rente à vie.”
Dans la Nièvre, la FNATH suit une cinquantaine de dossiers. Les cas se multiplient, mais restent encore peu nombreux face à la « catastrophe sanitaire » dénoncée par l’association. Elle estime qu’un agriculteur retraité sur deux pourrait être contaminé.
Le président de l’association s’étonne de l’inaction aussi longue au regard de la dangerosité des produits : “Ce qui est surprenant, c’est que après-guerre jusqu’à 2012, rien n’a été fait. Même si c’est contraignant, quand je vois de jeunes agriculteurs, je leur dis qu’ils s’équipent bien et qu’ils fassent tout ce qu’on leur dit, c’est quand même assez nocif.”
À Achun (Nièvre), Pierre Delobbe a lui aussi contracté un cancer de la prostate, après une carrière à produire agneaux et céréales : “Je n’étais pas non plus un grand consommateur de ça, mais on y a tous participé. Le blé est malade, le technicien passait le produit, ça roulait ! Jusqu’au moment où il commence à y avoir des symptômes, mais il faut du temps.”
Aujourd’hui, engagé dans l’association “Solidarité paysans”, il veut avant tout témoigner : “Il y en a plein qui continuent de traiter mais ils vont subir quelque chose aussi. Je ne fais pas ça que pour l’argent, c’est pas ça, c’est pour faire connaître le réel danger.”
Petit à petit, la parole se libère dans le monde agricole, une prise de conscience sur la nocivité de produits dont les agriculteurs eux-mêmes sont les premières victimes.
► Avec Rémy Chidaine et Sophie Hémar