
Il faudrait des heures, des jours voire des années pour faire taire Stéphane Lebras sur le sujet de l’information. Car, tout autour de nous n’est que nouvelles. Aussi, dans un monde numérisé où tout se répand, difficile de s’y retrouver. « Chaque avancée technologique accélère la diffusion de l’information », explique l’enseignant-chercheur. « Mais, les fausses nouvelles ont souvent une intention. Il faut juste comprendre laquelle. »
Ainsi, l’auteur ne tarit pas de critiques envers les journalistes. « En devant alimenter constamment, ils sont soumis à une pression dans la course à l’information. Ils sont devenus mauvais avec leur logique du buzz. »
« RMC/Internet/Sarkozy »
Car, pour lui, le tournant se fait dans les années 2000, avec un combo implacable. « RMC/Internet et Sarkozy. » Selon Stéphane Lebras, « On s’est trouvés dans une société où Srakozy a décomplexifié le langage ». « Il faut dire ce que l’on a envie de dire », Répétait-il.
Mais, avec RMC, on a en plus estimé que l’opinion était une information. Et Internet a répandu cela de façon exponentielle.
Dés lors, très vite, il n’existe plus de vérité. Chacun a le droit d’avoir la sienne et peut la répandre à sa guise sur les réseaux sociaux. « Les complotistes estiment être les éveillés de la société, ceux qui ont une conscience plus ouverte que les autres. » Les différences de perception deviennent alors légitimes et engendrent la désinformation.
Pire, Stéphane Lebras parle de réinformation. Un fait est réutilisé à mauvais escient pour contenter notre avis. Un exemple lui vient en tête. « Un homme égorge une femme ». « Très vite, les partis d’extrême-droite parlent de l’origine de l’homme. Puis disent qu’il était immigré. Et l’information devient un étranger a égorgé une femme. Or, non seulement, l’homme était martiniquais, mais surtout c’était un homme qui venait de sortir d’un hôpital psychiatrique. »
Le problème est ainsi déplacé. On ne parlera pas des problèmes de la prise en charge et du manque de moyen en psychiatrie. On détournera l’information et on l’utilisera pour la lutte contre l’immigration, alors même que l’information ne relaie rien de tout cela.
Stéphane Lebras trouve aussi des exemples sur les réseaux sociaux. « Saccageclermont est un exemple parfait. Souvent, son modérateur lance de fausses informations, ou même de fausses images. Un jour, il a relayé un panneau datant de 2014, prétextant qu’il était en période de travaux qui ont commencé en 2023. Ces groupes ont toujours une intention de nuire. »
De plus, la société s’est polarisée. Chacun est mis dans une case et correspond à une étiquette. « Quand j’étais jeune, Pascal Praud ne s’occupait que de foot, et il n’était pas réac. Mais, aujourd’hui, c’est ce qui fait vendre, alors les médias vont répondre à cette demande. Il faut avoir des avis tranchés, et Pascal Praud a collé à l’image qu’on attendait de lui et est devenu le réac qu’on connait aujourd’hui. »
Peur, doute…
La fausse information vit grâce à nos peurs irrationnelles. « Rappelons-nous le Covid. Personne n’était parfaitement rassuré par ce vaccin qui est arrivé si vite. S’est ajoutée à cela une attitude du gouvernement qui n’était pas très claire et qui venait de survivre aux Gilets Jaunes. Ainsi, des gens ont pensé que le gouvernement exploitait l’arrivée du Covid pour faire taire la colère sociale. Parce que tout ça est plausible dans une société dans laquelle on a perdu confiance en nos dirigeants et parsemée de doutes. »
Une fausse nouvelle sera d’autant plus crédible que son prescripteur est important. « On a tendance à croire une information qui nous vient d’un médecin, d’un juge, plutôt que d’un voisin, ou d’une personne qui a un métier moins prestigieux. Selon le pouvoir de son métier et de son statut social, on a plus ou moins le pouvoir d’informer« , explique le professeur.
D’après les recherches, ce sont les personnes âgées qui véhiculent le plus de « fake news ». Ces dernières ont gardé un rapport de croyance aux médias. « Ainsi, CNews profite de leur naïveté. »
Tellement répandue, la fake news a intéressé la neurobiologie. Il s’avère qu’à force de recherches, des tests ont révélé que la fake news alimentait une partie du cerveau. Et pas n’importe laquelle. Celle du plaisir. « Cela s’explique par le fait que la fake news excite notre curiosité, rassure sur notre croyance, et utilise le biais de confirmation. »
Voilà une explication au succès du groupe comme Saccageclermont. Les gens ne veulent pas être seuls à râler à cause des bouchons à Clermont-Ferrand. Ils trouvent sur le groupe des gens qui râlent aussi, et cela confirme leur légitimité à être en colère. Même si de fausses informations sont données sur ce site, elles alimentent les croyances et sont donc rarement remises en question. « Cela nous arrange parfois, les fake news. »
…Et ignorance
Un autre biais de la fake news, c’est l’ignorance. « On a entendu tellement de choses sur le Sida ou l’homosexualité », explique l’enseignant. « On peut jouer parfaitement avec l’ignorance et la peur des gens. » Car, tout cela reflète notre intime, souvent coincé entre raison et affect, fantasme et angoisse. « Etre entre les deux, on aime ça, aussi. C’est ce qui peut être excitant. Et bien la fake news joue sur cette ambiguïté. »
Selon l’enseignant, guère de solutions existent. « C’est trop tard. L’éducation aux médias est importante mais trop rare. Réguler les réseaux sociaux est impossible. Et travailler sur la raison et faire un travail intellectuel demandent beaucoup d’efforts. L’école doit être le lieu du développement de l’esprit critique. »
Aujourd’hui, la révolution numérique a sacrifié toute une génération, selon Stéphane Lebras. « On ne sait pas gérer le flux d’informations qui arrivent. Les gosses s’y sont noyés. Sans compter les jugements des réseaux sociaux. Les jeunes sont constamment soumis à des sollicitations et sont désormais dans l’incapacité de se concentrer plus de 20 minutes. Et pour l’instant, rien n’est fait pour contrer cela. »
Enfin, Stéphane Lebras le reconnaît facilement. Les journalistes ont une véritable responsabilité dans cette désinformation. « Trop peu font correctement leur travail. On ne leur demande pas d’être objectifs, mais honnêtes. Même les journalistes mésinforment dans cette société. Nous sommes dans une société de fausses nouvelles. C’est troublant.«