
L’intelligence artificielle sera-t-elle le vent qui dégagera les nuages ou l’air instable qui apportera l’orage sur le marché du travail ? Les prévisions météo divergent d’un rapport à l’autre. Le panorama de l’Unédic, qui fait le bilan de sept études majeures concernant l’impact de l’IA générative sur l’emploi, dessine plutôt un arc-en-ciel.
Sans exception, les études concluent toutes à la destruction de certains emplois, substitués par l’intelligence artificielle générative (IAG) et à la transformation d’autres, avec l’automatisation de tâches par l’IA qui libérera du temps aux travailleurs et les assistera dans d’autres missions.
Les avocats, par exemple, pourraient confier à l’intelligence artificielle les tâches administratives de saisie de documents afin de se recentrer sur l’analyse et le conseil et se faire accompagner de l’IAG pour réaliser des recherches et faire de la veille juridique.
C’est en tout cas ce qu’envisage le Fonds monétaire international (FMI). Mais toutes les études ne font pas les mêmes prévisions. La banque d’investissement Goldman Sachs estime que les professions juridiques présentent un fort risque d’être remplacées par l’IAG.
De nombreuses incertitudes
Il est finalement difficile d’y voir clair dans la boule de cristal alors que l’étendue, mais aussi les limites, des capacités de l’IAG sont encore incertaines. « L’éventail des estimations va de 5 % à 33 % pour les emplois potentiellement menacés et de 13 % à 27 % pour les emplois potentiellement valorisés », rapporte l’Unédic.
Ces chiffres sont par ailleurs à prendre avec des pincettes puisque les études recensées par l’Unédic portent principalement sur des économies avancées (Europe, Etats-Unis, France) et seules celles du FMI et du Bureau international du travail (BIT) réalisent une analyse au niveau mondial. Or, il en ressort que ce sont surtout les économies occidentales qui seront bouleversées par le déploiement de l’IAG. En effet, les professions les plus concernées, soit celles avec des tâches informatisées, sont beaucoup plus exercées dans les pays riches, qui par ailleurs ont les moyens financiers requis pour le déploiement de l’IAG.
Les avis divergent également quant au degré de substitution des métiers par cette nouvelle technologie. D’après certains travaux, l’IA générative menace « uniquement des emplois moyennement qualifiés », constitués en grande majorité de tâches répétitives et peu complexes.
Le FMI classe les économistes dans les professions menacées, au même titre que les télévendeurs !
D’autres envisagent « une IAG encore plus performante, capable de réaliser aussi des tâches cognitives et parfois même relevant de la créativité », écrit l’autrice du panorama de l’Unédic, Laure Baquero. Le FMI classe alors les économistes dans les professions menacées, au même titre que les télévendeurs !
Ces divergences en entraînent d’autres en matière d’impact sur les salaires. Les rapports de la Commission de l’intelligence artificielle (créée à l’initiative du gouvernement français en 2023) et du FMI concluent à une augmentation des inégalités salariales entre les travailleurs dont l’essentiel des tâches pourrait être réalisé par l’IAG et ceux « valorisés » par cette technologie.
A l’inverse, Erik Brynjolfsson et ses coauteurs considèrent que l’IA conduira à une homogénéisation des niveaux de rémunération, en améliorant la productivité des travailleurs les moins qualifiés, dont le salaire pourrait alors rattraper celui des plus qualifiés.
Une nécessaire adaptation
Mais c’est oublier qu’un menaçant cumulonimbus plane au-dessus de nos têtes : le chômage, entraînant avec lui une baisse de revenus pour une partie de la population. Car si des destructions d’emplois plus ou moins importantes sont presque certaines, les créations d’emplois qui accompagnent le phénomène de « destruction créatrice » sont hypothétiques.
Ce processus, théorisé par Joseph Schumpeter, accompagnerait les innovations en détruisant certaines activités au profit de la création de nouvelles. Les précédentes révolutions technologiques ont confirmé cette théorie, mais la création d’emplois grâce à l’IAG « reste pour l’heure très peu documentée », observe Laure Baquero.
« D’où le risque de chômage pour une partie de la population, conclut l’économiste à l’Unédic. Celui-ci sera d’autant plus prégnant que les compétences des travailleurs ayant perdu leur emploi ne correspondront pas à celles requises par les nouveaux emplois émergents. »
Elle ajoute que les emplois créés ne le seront pas forcément au même endroit que ceux supprimés, ce qui risque d’accentuer les tensions sur le marché du travail.
Face au vent de panique que ces conclusions peuvent susciter, l’Unédic propose d’investir dans un parapluie : les formations initiale et continue. Bien qu’il soit difficile d’anticiper les nouveaux besoins du marché du travail, car le potentiel de l’IAG regorge encore de mystères, elles permettraient de préparer les travailleurs à l’évolution de professions déjà existantes et à l’émergence de nouvelles professions.
« A défaut d’anticipation, il importera de pouvoir faire preuve de réactivité, ce qui implique un suivi attentif du sujet », recommande alors l’Unédic.