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Transformer la laine de brebis en produit fertilisant : ils innovent à Vézins-de-Lévézou dans l’Aveyron
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La famille Fabry, installée depuis six générations à Vézins-de-Lévézou, a développé Fertilaine. Malgré un prix national et des encouragements multiples, le projet de créer une unité de production dans l’Aveyron se heurte à des obstacles réglementaires.

Six générations d’agriculteurs et des moutons par milliers. À Vézins-de-Lévézou, à une petite trentaine de kilomètres au nord de Millau, l’élevage ovin va de soi. Pour le lait, guère pour la laine, celle des brebis Lacaune ayant peu d’intérêt pour le textile. « De toute façon, en France, la filière laine n’existe plus ! La laine est un déchet et elle coûte aux éleveurs « , relève Anne Fabry.

« 700 brebis, 5 enfants, c’était assez sport… »

Depuis 2018, les Fabry sont passés en agriculture bio. Le lait est destiné à la fabrication de yaourts de la marque Petit Basque. À cette époque, le troupeau est composé de 700 brebis.  » 700 brebis, cinq enfants, c’était assez sport », sourit Anne qui gère alors la ferme avec son époux, Marin. C’est ce dernier, prématurément décédé il y a deux ans, qui imagine Fertilaine, soit le recyclage de cette laine qui gratte mais qui, comme des cheveux ou des ongles, a des propriétés fertilisantes. « Marin avait toujours des idées, et on se souvenait qu’autrefois, cette laine était utilisée, pour fabriquer des matelas notamment. La jeter nous a toujours semblé un vrai gâchis. Donc on a testé avec une poignée de laine déchiquetée, dans nos plantes en pots tout simplement. Le résultat sur mes pétunias était incroyable, on s’est dit « on tient quelque chose ! »

Les fils prennent le relais

Les voisins éleveurs également, sont à la fois perplexes et intéressés par la démarche désormais aux mains des deux fils aînés, Vincent, 27 ans et Pierre-Marin, 32 ans. « Le coût de la tonte est d’environ 1,50 € par brebis. Chacune produit environ 1 kilo de laine, qu’on nous prend, comme déchet, à 5 à 10 centimes du kilo. 90 % de ces déchets de laine sont envoyés en Chine ! Donc notre point de départ est de dire, cette laine n’a aucune valeur, on va l’utiliser chez nous ».

La laine des brebis Lacaune comporte peu d’intérêt pour le textile.
Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Aucune valeur mais pas mal de vertus. Comme le sang séché, la corne broyée et autres fertilisants utilisés en agriculture bio, la laine est riche en azote et en potassium. Comme une éponge, elle absorbe l’humidité du sol, les fibres sont grasses car imbibées du suint des bêtes. Pour la transformer en engrais, un procédé technique s’impose « il faut en faire des granulés, comme des pellets de bois. Pour un kilo de laine, on aura 800 grammes de produits finis », explique Vincent Fabry qui porte avec son frère le projet de créer une unité de fabrication dans l’Aveyron. « Pour l’instant, nous faisons réaliser notre produit en Allemagne. Nous y avons envoyé près de 50 tonnes l’an dernier, mais nous sommes sollicités par des éleveurs ovins de toute la France. On offre un débouché pour un produit qui n’en a pas et on sait qu’il n’y aura jamais de pénurie ».

Transformés en granulés, les déchets laineux sont conditionnés en sachets et venus en jardineries.
Transformés en granulés, les déchets laineux sont conditionnés en sachets et venus en jardineries.
Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Les granulés fertilisants arrivent de Bavière en gros volumes, sont ensachés dans de petits contenants par les travailleurs d’un Esat du Tarn, et vendus en jardineries, en paquets de 250 grammes à 7 kilos. « Alors que les banques sont prêtes à nous suivre, et que la technique n’est pas compliquée puisqu’il s’agit en gros de broyage, la fabrication ici dans l’Aveyron de nos pellets est bloquée pour des raisons réglementaires. C’est un peu aberrant dans la mesure où c’est un déchet et que certaines analyses qui nous sont demandées sont plus poussées que celles demandées pour certains produits alimentaires ! »

20 centimes le kilo

Vincent Fabry a mis son métier entre parenthèses pour se consacrer à Fertilaine, dont les bureaux sont installés dans une pépinière d’entreprises de Rodez. Un ingénieur agronome pourrait être recruté, car si le déploiement commercial dans des jardineries et magasins bios marche fort (80 boutiques dans toute la moitié sud de la France), l’ambition est à terme de servir l’agriculture. Pour l’heure, Fertilaine achète la laine à 200 € la tonne (20 centimes le kilo, le double de ce qui est actuellement proposé mais loin d’arriver au coût de la tonte qui serait de… 1 500 euros la tonne). « Les éleveurs jouent le jeu, nous n’avons que des encouragements et on sait qu’il y a un marché important si nous parvenons à maîtriser la production », s’enthousiasme Vincent Fabry.

En décembre dernier, Fertilaine a reçu le Grand prix du concours Innover à la campagne, ainsi que celui de l’association des Maires ruraux de France, dans la catégorie agriculture durable. Une mise en lumière nationale. À voir cependant si les élus enthousiastes pourront agir pour qu’une réglementation adaptée permette le développement de cette pépite aveyronnaise.

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