
Menaces, intimidations, locaux saccagés… Alors que l’Office français de la biodiversité (OFB) est désigné comme bouc émissaire de la crise agricole, et que les syndicats appellent à désarmer les agents, Reporterre livre plusieurs témoignages éclairants sur les relations entre la police de l’environnement et le monde agricole.
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Des prises de parole inédites, qui révèlent comment les intérêts économiques de certains priment parfois sur le travail des policiers de l’environnement, au détriment de la biodiversité, et de la sécurité des agents.
Frédéric : « Nous sommes les dindons de la farce »
« Des agriculteurs ont débarqué à l’aube pour déverser du fumier à l’abri des regards. »
© Tommy dessine / Reporterre
Frédéric [*] est chef de service à l’OFB dans le sud de la France. Dans la foulée des déclarations du Premier ministre, accusant le 14 janvier les inspecteurs de l’OFB d’humilier les paysans en menant leurs contrôles « une arme à la ceinture », ses locaux ont été vandalisés par des agriculteurs.
« D’habitude, les policiers ou les renseignements territoriaux nous avertissent la veille. Cette fois, rien. On n’était pas du tout au courant. Des agriculteurs ont débarqué à l’aube pour déverser du fumier à l’abri des regards. Des conteneurs ont été entassés devant notre porte, et le mobilier a été tagué.
D’après eux, les agents de l’OFB se lèveraient avec comme seule motivation de les sanctionner, sans dialogue et avec mépris. Ce discours, porté aux quatre coins de la France, ne repose sur rien. Pas la moindre réalité. Le nombre de contrôles sur les exploitations est minime, en comparaison à toutes les missions de soutien menées.
Même chose avec la remise en cause de notre port d’armes. Les agents de l’OFB sont armés depuis des décennies, cela n’a jamais posé problème. Jamais nous n’avons reçu de réflexion à ce sujet dans mon territoire. Jamais ! Seulement, le Premier ministre a tendu aux agriculteurs un os à ronger, et ils l’ont aussitôt brandi comme un étendard.
S’il y avait des chiffres tendant à démontrer des dérives dans nos services, nous serions disposés à comprendre. Seulement, il n’en est rien. Il s’agit juste de politique. La police de l’environnement est considérée comme une sous-police. Nous sommes les dindons de la farce. »
Benoît Pradal : « On a fait croire que j’avais la haine contre les paysans »
En réaction aux déclarations du Premier ministre François Bayrou, le syndicaliste Benoît Pradal lui a répondu sur France Inter.
© Tommy dessine / Reporterre
Benoît Pradal est porte-parole du syndicat Snape-FO à l’OFB. Le 15 janvier, en réaction aux attaques de François Bayrou, il a réagi sur France Inter : « Aujourd’hui, on a le sentiment que ce que veulent les agriculteurs, c’est de ne plus nous voir dans leurs exploitations. C’est du même ordre que si les dealers demandaient aux policiers de ne plus venir dans les cités. »
« Mes propos ont été instrumentalisés par les politiques, pour monter les agriculteurs contre les agents de l’OFB. Et leur méthode a fonctionné. Des paysans manipulés ont repris cette déclaration pour justifier les dégradations et les intimidations commises à notre encontre. On a fait croire que j’avais la haine contre les paysans.
Moi, je suis fils d’agriculteur. Ce métier, je le connais mieux que bon nombre de politiques. Je suis né dans un hameau de cinq maisons, au fin fond de l’Aveyron. Il y avait quatre fermes, dont celle de mon père. Je n’ai jamais eu l’intention de dénigrer ces personnes. Il n’était évidemment pas question pour moi d’offenser qui que ce soit.
Aujourd’hui, j’aimerais demander aux agriculteurs : si demain l’OFB venait à disparaître, vivraient-ils mieux de leur travail ? Gagneraient-ils plus d’argent ? Depuis plus d’un an, notre établissement sert de bouc émissaire. Les politiques détournent l’attention sur nous pour éviter d’aborder les sujets qui fâchent, pour éviter que les agriculteurs ne se retournent contre eux. Elle est là, la réalité. »
Jacques : « Si tu fais un pas de plus, je t’embroche ! »
« Une fois, j’ai été accueilli par un agriculteur avec une fourche. »
© Tommy dessine / Reporterre
Jacques [*] est agent à l’OFB. Il a passé l’essentiel de sa carrière dans l’est de la France, à l’Onema, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, avant d’intégrer l’OFB lors de sa création en 2020.
« Ça fait trente-cinq ans que je travaille dans le métier, d’abord au CSP [Conseil supérieur de la pêche], puis à l’Onema, et ensuite à l’OFB. Déjà au début de ma carrière, dans les années 1990, il y avait de grosses tensions avec le milieu agricole. C’était surtout tendu quand l’on venait pour des contrôles de pollutions de cours d’eau.
Une fois, j’ai été accueilli par un agriculteur avec une fourche. Je n’étais pas encore dans sa cour de ferme qu’il m’a vu arriver. Il est venu à ma rencontre en pointant sa fourche sur moi et en me disant : “T’es chez moi. Si tu fais un pas de plus, je t’embroche !” J’étais venu lui apporter des prélèvements d’eau suite à une pollution [à l’époque, on remettait un jeu de prélèvements aux mis en cause]. Il était très agressif, menaçant… Donc j’ai laissé les prélèvements sur la route et j’ai tourné les talons.
Dans le cadre de ces enquêtes pour pollutions, j’ai été aussi été amené à verbaliser un Gaec [Groupement agricole d’exploitation en commun] plusieurs fois d’affilée. Ils sont passés au tribunal, ont été condamnés et, ensuite, j’ai reçu des menaces comme quoi j’étais “tricard” au village, et que si je me pointais, j’arriverais debout et je repartirais couché… J’avais une vraie pression, parce que mon travail était de m’occuper des pollutions. À un moment, j’ai même demandé à changer de service, j’en avais marre de ce contexte pesant.
« Ils les ont kidnappés et enfermés toute une journée dans une grange »
Dans les années 2010, les syndicats agricoles étaient déjà très agressifs vis-à-vis de l’Onema. Un jour, deux collègues sont partis vérifier le secteur près d’une exploitation qui posait souvent des problèmes de pollutions. L’agriculteur est sorti avec son pick-up et a poursuivi mes agents. Il leur a fait une queue de poisson et les a bloqués sur la route. Il est descendu en leur demandant “Qu’est-ce que vous foutez là ?”.
Dans un autre département, j’ai même des collègues qui se sont fait séquestrer par des agriculteurs : ils venaient contrôler des travaux de remise en état et quand ils sont arrivés à la ferme, le paysan leur avait préparé un petit comité d’accueil. Ils les ont kidnappés et enfermés toute une journée dans une grange. Et il n’y a eu aucun procès, aucune poursuite, rien.
Cela montre le contexte et les risques qu’on peut prendre parfois, d’où l’importance d’avoir une arme. On ne ferait pas les mêmes contrôles sans cela. Et puis on garde toujours en tête l’histoire de ces deux inspecteurs du travail qui ont été tués par un agriculteur [le 2 septembre 2004, en Dordogne, ils effectuaient un contrôle de routine chez un agriculteur, qui les a abattus l’un après l’autre avec son fusil].
Après, on sait qu’il peut y avoir des gens en grande difficulté morale et financière ; on est toujours très prudents, jamais dans l’agression. Moi, il m’est arrivé de reporter des contrôles quand je savais que l’agriculteur était en grande difficulté financière, voire menaçait de se suicider. On ne les a jamais provoqués, contrairement à ce qu’ils nous reprochent.
Aujourd’hui, les choses ont évolué. La grande partie du temps, il n’y a aucun problème avec la profession agricole. Mais comme la FNSEA [le syndicat majoritaire et productiviste] et la Coordination rurale [syndicat proche de l’extrême droite] ont mis dans leurs revendications de désarmer et de dissoudre l’OFB, les gens se sentent plus forts à critiquer. Certains critiquent même sans jamais avoir rencontré l’OFB ! Les premiers responsables de la tension actuelle, ce sont les syndicats agricoles qui attisent la haine envers nous. En plus, on est en période d’élections dans les chambres d’agriculture, donc c’est à qui fait le plus d’actions, à qui dégrade le plus des locaux, etc.
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Il y a une forme d’impunité des syndicats agricoles. Quand on voit la différence de traitement entre certaines manifestations beaucoup plus pacifiques et eux, ça laisse rêveur. Ils sont puissants, et il vaut mieux ne pas être dans leur viseur. Or, on est dans leur collimateur, et on n’est pas du tout soutenus, voire dézingués, par les plus hauts responsables de l’État. C’est ça qui passe mal à l’OFB. »
Nicolas : « Qu’est-ce que tu fous là ? Racaille ! »
« Il me donne un premier coup de fourche, que j’évite. »
© Tommy dessine / Reporterre
Nicolas [*] est technicien supérieur de l’environnement à l’OFB, et représentant syndical de l’Unsa Écologie-OFB dans l’est de la France. Il fait aussi partie de la Formation spécialisée du conseil social d’administration (FS CSA), anciennement le Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
« J’ai déjà reçu un coup de fourche de la part d’un agriculteur. C’était lors d’une tournée de surveillance de l’écobuage : une pratique qui consiste à brûler les végétaux sur pied, le long des parcelles agricoles. Certains agriculteurs y ont recourt pour faire plus “propre” le long de leurs barbelés et, ensuite, ça repousse bien. Sauf qu’on était au début du printemps, et au mois de mars, toute la microfaune est encore présente dans ces fourrés, notamment les hérissons qui sont encore un peu léthargiques. Avec l’écobuage, tout crame : les hérissons, les insectes, les escargots, les batraciens, les chrysalides… C’est pour cela que c’est interdit à cette période.
Généralement, quand on voit un feu, il n’y a plus personne. C’est dur d’avoir un flagrant délit. Mais cette fois-ci, on a pris les jumelles et on a vu un homme en train d’attiser le feu tout au long de son barbelé. J’étais avec un collègue. À ce moment, on a décidé d’intervenir, mais on s’est dit qu’on n’allait pas verbaliser, et qu’on allait juste faire de la sensibilisation, pour lui expliquer ce qu’est l’écobuage, et les risques pour la biodiversité. En plus, parfois, quand il y a du vent, cela peut provoquer de graves incendies.
« Un troisième coup de fourche m’atteint au niveau du torse »
On s’approche de la personne en mode sensibilisation, et on se présente : “Bonjour monsieur. Police de l’environnement !” Et là, la personne se retourne et nous lance “Dégagez de chez moi ! Qu’est-ce que tu fous là ? Racaille !”, tout ceci en pointant la fourche vers nous. Moi, à ce moment-là, je reste calme, je me présente, en plus je suis en uniforme, donc je me dis que la personne va finir par reconnaître sa méprise. Il me donne un premier coup de fourche, que j’évite. Je lui dis : “Monsieur arrêtez, qu’est-ce que vous faites ? Police de l’environnement je vous dis !”
Là-dessus mon collègue lui dit aussi d’arrêter, mais rien à faire, il me donne un second coup de fourche. Là, je commence à me sentir agressé, alors je tente de sortir mon bâton télescopique. Cela me rend moins disponible pour éviter les coups. Un troisième coup de fourche m’atteint au niveau du torse, en rayant ma veste de noir, car l’outil était encore tout fumant après son passage dans le feu.
J’ouvre le bâton de protection, prêt à me défendre. À cet instant, il lève les yeux, me regarde, et je lis de l’hésitation dans son regard. Il prend la fourche et la plante entre nous deux. La fourche vibre. Et puis il s’effondre, et dit “J’ai pas compris qui vous étiez”. Il se met à pleurer. Je veux bien croire qu’il n’avait pas saisi à qui il avait affaire… En attendant, la trace de carbone sur la veste m’a fait prendre conscience que ce n’était pas passé loin !
En fait, à partir du moment où notre travail entrave des activités économiques, forcément ça pose problème, et ça peut amener les gens à être agressifs avec nous. Et pas seulement les agriculteurs : sur la façade atlantique, les collègues peuvent se retrouver dans des situations délicates avec les marins-pêcheurs. Sur la côte d’Opale, dans le Nord, on a retrouvé des phoques morts avec des coups de fusil dans la tête… Je ne me vois pas aller contrôler quelqu’un qui donne des coups de fusil dans la tête des phoques sans être armé, c’est pas possible. »
Paul : « J’ai été agressé devant mes enfants »
« Il a baissé sa vitre et il m’a menacé de tout ce qui est possible… »
© Tommy dessine / Reporterre
Paul [*] est chef de service à l’OFB dans un département du sud de la France.
« Un jour, je revenais du bus avec mes enfants, et un agriculteur du coin passait en voiture. Il m’a vu et s’est arrêté. Il a voulu sortir de la voiture, alors je l’ai contenu avec ma jambe pour ne pas qu’il sorte, parce que je savais de quoi il était capable. Il a baissé sa vitre et il m’a menacé de tout ce qui est possible… C’était un agriculteur qui braconnait et qu’on avait déjà verbalisé plusieurs fois. Dans le monde de la chasse, il y a beaucoup d’agriculteurs. Mais là, il est allé vraiment trop loin, et en plus devant mes enfants. J’ai porté plainte, il y a eu un procès et il a été condamné.
Une autre fois, en contrôlant un agriculteur avec une collègue, celui-ci nous a foncés dessus avec son tracteur. On a dû faire marche arrière avec le véhicule de service. Aujourd’hui, ça s’est quand même beaucoup calmé. Certains éleveurs sont même contents de nous trouver, quand on vient les voir pour des attaques de loup par exemple. Au final, on travaille bien avec eux l’immense majorité du temps. »
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